Au bord du gouffre

Axel Botte, Ostrum AM

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Hausse vertigineuse des inscriptions au chômage aux Etats-Unis. Les annonces de baisses de dividendes pèsent sur les actions.

© Keystone

Les marchés d’actions ont rechuté la semaine passée. Aux Etats-Unis, le S&P 500 perdait 2% malgré le rebond des valeurs pétrolières soutenues par une hypothétique baisse de la production mondiale. L’Europe sous-performait sous l’effet d’annonces de baisses de dividende. Le Nikkei de 8%.

Le dollar fort malgré l’action concertée des Banques Centrales entretient un environnement néfaste aux risqués. L’euro retombe vers 1,08 dollar. Le rendement des Treasuries est orienté à la baisse. Le 10 ans (0,59%) diminue de 8pb. En zone euro, on une remontée du Bund (-0,44%) limitée à 3pb. La volatilité des spreads souverains perdure mais les émissions rencontrent une bonne demande finale.

La liquidité revient graduellement sur les marchés du crédit américain et européen. La récession engendre un nombre croissant de dégradations de et une migration importante vers le high yield. Les spreads synthétiques s’envolent avec un CDX HY au-delà de 770pb. Les spreads émergents sont également sous pression. L’EMBI se traite à près de de 650pb.

Le graphique de la semaine
Les Treasuries sont probablement l’actif le plus sûr compte tenu du rôle du dollar et l’absence de risque de crédit. Leur volatilité est donc un indicateur de stress fiable.
L'indice MOVE est une mesure synthétique de la volatilité sur plusieurs maturités. Elle a atteint un sommet en clôture hebdomadaire à 138pb en mars. La volatilité est retombée un niveau normal de 65pb.
L'action rapide de la Fed a néanmoins empêché une dégradation comparable à (défaut russe), à la crise de crédit de 2001 à 2003 et à la financière de 2008.
Etats-Unis: le chômage à 20%?

Les Etats-Unis, et la région de New York en particulier, sont désormais l’épicentre de l’épidémie mondiale de 19. Sur le plan économique, la hausse des nouvelles inscriptions au chômage témoigne d’un choc sans précédent sur l’activité. Un total de 6,6mn d’américains ont perdu leur emploi la passée. Cela porte à plus de 10mn l’augmentation du chômage depuis le milieu du mois de mars. D’autres semaines sombres se profilent. Le taux de chômage va donc rapidement monter à des niveaux jamais vus depuis la Grande Dépression des années 1930. Le rapport sur l’emploi du mois de mars ne fait état que de 701k destructions de postes mais cette enquête prend la semaine du 12 du mois en référence.

L’estimation d’avril intégrera en revanche les millions de postes perdus. La Californie et la région de New York, les deux régions les plus riches et dynamiques du pays, sont placées sous mesures de confinement. Il ne fait aucun doute que le PIB s’effondrera au 2T 2020.

En Chine, les enquêtes suggèrent un début de reprise mais un nombre
important de pays dans la région redoutent une résurgence de l’épidémie.

Les ventes de véhicules ont déjà baissé d’un tiers en mars. Elles diminueront probablement nettement sous niveau de 2009 (9mn en rythme annuel) dans les mois à venir. L’immobilier suivra, mettant en difficultés nombres d’acteurs du secteur notamment dans la chaine de services financiers associés à la titrisation des emprunts. Le Trésor américain s’inquiète déjà de faillites en chaine dans le financement immobilier. Le sauvetage du secteur est déjà chiffré à 75 milliards de dollars, voire plus. Dans ce contexte, les enquêtes ISM laissent sceptiques. A l’instar des données d’emploi, le sondage du secteur manufacturier relève une légère baisse (49,1 en mars) et son équivalent dans les services rapporte une activité en expansion (52).

En Europe, les enquêtes disponibles font bien état d’un plongeon de l’activité dans les services. L’Italie (17,4 en mars) est l’économie la plus touchée mais l’Espagne connait également un coup d’arrêt majeur. Le secteur manufacturier surnage. Les dispositifs de chômage partiel et de garanties publiques tournent à plein. Plus la crise sera longue, plus les choix seront difficiles.

Tous les secteurs ne pourront être sauvés. En Chine, les enquêtes suggèrent un début de reprise mais un nombre important de pays dans la région redoutent une résurgence de l’épidémie.

Pétrole: un nouvel équilibre?

Donald Trump ose avancer l’hypothèse d’une baisse de 10mbpj de la production pétrolière de la Russie et de l’Arabie Saoudite. Une réunion de l’OPEP+ est prévue cette semaine. La demande de pétrole a chuté de 25 à 30mbpj. Cependant, sans concours des États-Unis, premier producteur mondial (13mbpj de brut), un excès d’offre subsistera. Trump n’en fait pas mention semblant croire qu’une réduction des sanctions envers la Russie suffirait à obtenir un accord. Le marché du pétrole a toutefois intégré un revirement dans la stratégie, sans issue, de l’Arabie Saoudite. Le Brent remonte au-delà de 34$ le baril. L’hypothèse d’une hausse des réserves stratégiques chinoises a aussi nourri ce rebond.

Les conditions de liquidité s’améliorent progressivement
grâce aux soutiens apportés par la Fed et la BCE.
Le high yield sous pression

Le contexte financier reste difficile sur les marchés d’actions mondiaux. La volatilité réalisée tend toutefois à se réduire même si le VIX s’affiche encore autour de 50%. Les indices ont rechuté à mesure que les coupes de dividendes se généralisent. Plusieurs sociétés de services publics ont communiqué sur un abandon des dividendes y compris les flux versés au titre de 2019.

Or l’essentiel des versements s’effectuent entre avril et juin et les marchés s’ajustent à cette nouvelle réalité. L’Euro Stoxx 50 perd 2,4% même si le changement de ton sur le marché du pétrole a profité au secteur (+6%). Le S&P perd 2% sur cinq séances, le secteur financier et les services publics tirant l’indice à la baisse. Au Japon, le Nikkei plonge de 8% malgré l’annonce d’un plan budgétaire de 10pp de PIB.

Sur les marchés obligataires, l’action de la Fed a largement atténué la volatilité sur les Treasuries. Le 2 ans (0,23%) glisse lentement vers le taux repo (0,10%). Le spread 10-30 ans s’accroit de 3pb alors que l’aplatissement prévaut sur le 2-10 ans. La prochaine émission d’un emprunt à 20 ans en mai explique peut être la pentification des spreads longs. En zone euro, le Bund à 30 ans est recherché (-0,05%). Les comptes spéculatifs jouent ainsi le resserrement du 10-30 ans euro contre l’élargissement du spread américain. Les spreads souverains demeurent volatiles notamment en amont des adjudications périphériques. L’Espagne a augmenté la taille de ses adjudications, ce qui pèse sur les niveaux de primes. Les Bonos espagnols à 10 ans (+17pb cette semaine) cotent à 118pb au-dessus du Bund. Le BTP (+19pb) oscille autour de 200pb. Le Portugal a néanmoins placé sans difficulté 7 mds € d’un emprunt à 7 ans à MS+86pb. Le succès des syndications est rassurant face au risque de dégradation des notations souveraines.

Concernant les marchés du crédit, les conditions de liquidité s’améliorent progressivement grâce aux soutiens apportés par la Fed et la BCE. Les tensions sur le court autour du passage de fin de trimestre ont été réduites. Cela étant, les dégradations de notations se multiplient à mesure que les agences intègrent l’effet de la profonde récession sur les chiffres d’affaires. Les flux continuent de sortir des fonds investis sur le crédit investment grade européen, de sorte que les spreads se maintiennent autour de 240pb contre Bund. Les dettes financières ont tendance à surperformer. Le risque de bail-in réduit toutefois le multiple de spreads de CDS entre dettes senior et subordonnée. La pression vendeuse est plus forte sur le high yield notamment aux Etats-Unis. Le total des emprunts dégradés en catégorie spéculative (130mds $) dépasse déjà le pic observé en 2008. Les pertes de mars et les dégradations de notations ont refroidi les investisseurs et accentué la pression sur les spreads.

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