America Great Again… Pour combien de temps?

Bruno Cavalier, ODDO BHF

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Pression maximale sur la Fed. Les autres leviers de la politique économique sont activés avec des motivations de très court terme.

©Keystone

En 2017, l’économie mondiale avait montré une rare homogénéité, toutes les zones accélérant en même temps. Cette année, à l’opposé, les évolutions sont disparates. La tendance générale est celle d’une décélération mais il y a une exception, les Etats-Unis. 

La croissance américaine a accéléré d’un demi-point, passant de 2,5% sur un an à la fin 2017 à 3,0% aujourd’hui. Sur la même période, la croissance mondiale hors US a ralenti d’un demi-point, passant de 4,4% à 3,9%. Pour les pays développés hors US, c’est-à-dire l’Europe et le Japon, le freinage est encore plus marqué, la croissance tombant de 2,4% à 1,5%. Voilà pour le constat. Il appelle plusieurs questions. Primo, sur les causes de cette disparité US-reste du monde. Secundo, sur sa durabilité. Tertio, sur ses implications concernant la politique économique américaine, les taux d’intérêt et le dollar.

La demande intérieure US réagit logiquement
à l’amélioration des conditions sur le marché du travail.

L’accélération de la croissance américaine résulte d’un affermissement de la demande intérieure, surtout la consommation des ménages et, dans une moindre mesure, l’investissement des entreprises. L’investissement résidentiel se replie en revanche depuis trois trimestres sur fond de hausse des taux hypothécaires et des prix des maisons. Il est tentant de lier la vigueur de l’économie US à la baisse des impôts votée fin 2017 mais les éléments factuels étayant cette idée sont rares. Cette baisse d’impôt, surtout bénéfique aux entreprises, a fortement stimulé les rachats d’actions, et par ce biais, a pu créer un effet de richesse mais à ce stade, on peine à voir une incidence sur les dépenses d’équipement. En fait, la demande intérieure US réagit logiquement à l’amélioration des conditions sur le marché du travail, tant en termes d’emploi que de salaires. Par ailleurs, les Etats-Unis, sans être une économie fermée, sont du fait de la taille de leur marché domestique moins sensibles à l’évolution de la demande mondiale que la plupart des autres pays.

Pour l’essentiel, la contreperformance du reste du monde vis-à-vis des US vient précisément d’une modération du commerce mondial, après un rebond inattendu en 2017. Le secteur manufacturier, symbole par excellence de la globalisation, affiche de plus en plus de morosité tant les vents de face sont nombreux. La facture pétrolière s’est fortement renchérie depuis deux ans (une correction est amorcée). L’impulsion venant de la Chine tend à se modérer, après la surprise de l’an passé. En outre, l’impact négatif des droits de douane sur le volume des échanges est à venir. 

Si le reste du monde continue de s’affaiblir, on peut douter
que les Etats-Unis n’en subissent pas les conséquences.

Le côté «feuilletonesque» des annonces de Donald Trump en matière commerciale, alternant menaces et phases d’apaisement, crée de l’incertitude, donc de l’attentisme. C’est dommageable à l’activité future. Nous ne pensons pas que les États-Unis, parce qu’ils sont les initiateurs de cette incertitude, seront protégés, bien au contraire. Renchérir le coût des importations chinoises va affaiblir la Chine, cela ne fait guère de doute, mais tout d’abord, cela revient à taxer les ménages ou firmes américaines. L’économie réelle en supportera le coût. A ce choc direct, plutôt modeste à ce jour, peut s’ajouter le choc indirect transitant par les effets de confiance. En somme, si le reste du monde continue de s’affaiblir et si les investisseurs réévaluent brutalement les perspectives d’activité, on peut douter que les Etats-Unis n’en subissent pas les conséquences. La thèse du découplage avait eu une certaine vogue avant la dernière crise financière, mais dans un monde où les économies sont interdépendantes, elle a été totalement démentie par les faits. Il n’y a pas de raison de la déterrer.

Dans une situation déjà proche du plein-emploi, la vigueur de la demande domestique aux Etats-Unis ne peut laisser la banque centrale indifférente. La Fed, il va sans dire, ne durcit pas sa politique monétaire pour stopper le cycle d’expansion mais tout au contraire pour le prolonger. Rendre les conditions de financement un peu moins favorables, voire légèrement restrictives, permet d’éviter que les signes de tensions visibles ici ou là, par exemple sur le marché du travail ou sur certains segments du marché de la dette (leveraged loans), ne se transforment en surchauffe. Pour y remédier, il faudrait alors une action bien plus radicale. L’expérience historique a montré que cela aboutit sans trop de délai à la récession. En somme, la Fed remplit une fonction thermostatique, avec succès jusqu’à présent. Pour l’avenir, la difficulté est de calibrer au plus juste le degré et la vitesse de resserrement, alors que les autres leviers de la politique économique, le budget et le commerce, sont activés avec des motivations de très court terme, parfois électoralistes, et sans égards pour leurs effets potentiellement dommageables sur le cycle économique.

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