Ambiance de fête – Weekly Note de Credit Suisse

Burkhard Varnholt, Credit Suisse

6 minutes de lecture

La fête nationale donne une bonne occasion de se remémorer les facteurs de succès de notre pays et de jeter un regard sur les excellentes perspectives des placements en Suisse.

 

La Suisse est performante, aimée et souvent admirée. À juste titre. Les Confédérés sont source de «bonnes nouvelles», ce qui a une fois de plus égayé l’atmosphère en ce 1er août. Pourtant, il n’a pas été question de succès ni de prospérité pendant plusieurs siècles, tant s’en faut. La fête nationale donne une bonne occasion de se remémorer les facteurs de succès de notre pays et de jeter un regard sur les excellentes perspectives des placements en Suisse.

Succès contre toute attente

La Suisse affiche un succès économique qui remonte à un siècle peut-être. En 1918 déjà, elle était le deuxième pays le plus industrialisé d’Europe, juste derrière l’Angleterre. Bien que sa performance économique par habitant, corrigée du pouvoir d’achat, soit alors cinq fois plus faible qu’aujourd’hui, elle comptait parmi les plus élevées dumonde à l’époque déjà, et ce en dépit de la grève générale de 1918 et de la grippe espagnole, responsable de plus de 25 000 victimes dans le pays.

Une telle évolution est d’autant plus étonnante que la Suisse, peu de temps auparavant, c’est-à-dire jusqu’à la fin du XIXe siècle, se classait parmi les pays les plus pauvres du monde. Son développement est donc incroyable lorsqu’on songe à l’article du New York Times publié le 3 mars 1855 sous le titre: «Davantage de mendiants en provenance de Suisse! Une nouvelle cargaison sur le point d’arriver».

Beaucoup de Suisses ont tenté leur chance au loin à l’époque:
7% de la population ont décidé de tourner le dos à leur pays.

La lecture de cette manchette aujourd’hui donne presque l’impression que l’histoire se répète, mais sur la base d’autres prémisses. À l’instar des nombreux Africains qui quittent actuellement leur patrie pour des raisons économiques, beaucoup de Suisses ont tenté leur chance au loin à l’époque: 7% de la population helvétique – oui, vous avez bien lu – ont décidé de tourner le dos à leur pays et d’émigrer dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Bien entendu, personne ne les attendait outre-Atlantique. Lorsqu’ils arrivaient aux États-Unis, leur destination préférée en dehors de l’Amérique du Sud, ils étaient internés dans des camps centralisés de l’armée. On leur interdisait même de se marier afin qu’ils ne puissent pas transmettre leur misère1.

En 1847, Friedrich Engels, théoricien social et entrepreneur aux travaux largement suivis, a écrit que pratiquement tous les pays européens pourraient accéder au bienêtre hormis la Suisse, évoquant pour cette dernière l’absence de richesses minérales, aucun accès à la mer et une topographie impossible (barrière alpine) qui interdirait tout développement. Pour toutes ces raisons, il estimait  impensable qu’un marché intérieur convenable puisse se constituer dans ce pays singulier où régnaient en plus une sorte de «lutte des clans» et un imbroglio linguistique source de divisions.

Dans un exposé très répandu à l’époque, Engels peignait un tableau de notre pays difficilement reconnaissable de nos jours: «Ces bergers récalcitrants... s’adonnaient, en toute piété et en toute honnêteté, à la traite des vaches, à la confection de fromages, à la chasteté et au yodel. De temps à autre, ils tenaient des assemblées populaires, ... ils étaient pauvres, bêtes, pieux, mais larges d’épaules … et ils possédaient peu d’esprit mais de gros mollets... Parfois, ils en avaient assez, et les jeunes hommes se faisaient mercenaires, c’est-à-dire qu’ils s’engageaient dans des armées étrangères …, où ils se faisaient consciencieusement tuer pour toucher leur solde»2.

Les Helvètes comptent parmi les citoyens
les plus heureux du globe.

Mais, une fois de plus, les choses ont évolué très différemment. Aujourd’hui, les Suisses constituent l’un des peuples les plus riches de la planète. La fortune moyenne d’un adulte, incluant les avoirs du  deuxième pilier, s’élève à un demi-million de francs, comme le relève notre dernier «Global Wealth Report». Ils sont donc onze fois plus riches que la moyenne de la population mondiale. En termes  nominaux, les salaires moyens versés en Suisse sont près de deux fois supérieurs à ceux des pays voisins (hors Liechtenstein), et environ 40% plus élevés une fois corrigés du pouvoir d’achat.

Et ce n’est pas tout. D’après l’«Indice du bonheur mondial» de l’ONU, les Helvètes comptent parmi les citoyens les plus heureux du globe, à l’instar des habitants des pays nordiques, décriés de manière similaire par Engels. De même, l’espérance de vie, qui est passée de 60 à quelque 85 ans en moyenne au cours des cent dernières années en Suisse, compte parmi les plus longues de la planète.

Les Alpes constituent un habitat difficile, Engels avait raison sur ce point. Nous comptons en effet 208 (magnifiques) sommets de plus de 3000 mètres. Mais la Suisse s’en est accommodée, grâce aux prouesses de son ingénierie. Elle possède aujourd’hui la densité de tunnels la plus élevée du monde. La difficile exploitation des alpages a obligé son agriculture, dès la fin du Moyen-Âge, à se détourner de la culture des céréales pour privilégier l’élevage. Et la filière laitière a jeté les bases de la production industrielle de lait en poudre et de chocolat. C’est ainsi que l’agriculture suisse s’est positionnée très tôt comme un secteur d’exportation.

De même, le plurilinguisme du pays, également critiqué par Friedrich Engels, avait de bons côtés. Il suffit de penser aux huguenots français qui, fuyant les persécutions aux XVIe et XVIIe siècles, se sont réfugiés en Suisse romande, où ils ont posé les premiers jalons de l’industrie horlogère helvétique. À son tour, cette dernière a contribué à l’essor de l’industrie textile en Suisse alémanique, qui a elle-même favorisé l’émergence des industries des machines, chimique et pharmaceutique au XIXe siècle. Parallèlement, la découverte des Alpes comme lieu de convalescence par des Anglais fortunés  (dont le pays était à l’époque le plus riche du monde) a induit une envolée inattendue du tourisme, lequel nous a beaucoup apporté jusqu’à nos jours. L’industrialisation et la construction de tunnels dans la deuxième moitié du XIXe siècle ont presque automatiquement suscité la création de grandes banques et de banques cantonales.

L’absence de ressources naturelles s’est révélée être
davantage une bénédiction qu’une malédiction.

En rétrospective, l’absence de ressources naturelles s’est révélée être davantage une bénédiction qu’une malédiction au vu de tous ces facteurs. En effet, les régions d’Europe particulièrement riches en matières premières, Norvège ou Belgique en tête, ont régulièrement vu leur industrie décliner parce que les exportations de ces ressources induisaient une trop forte appréciation de leurs monnaies respectives.

En outre, l’absence de gisements miniers a exigé le développement de vertus séculières, également prônées par la Réforme, à savoir la formation, la diligence et l’inventivité. C’est ainsi que la Suisse est devenue à bien des égards un pays de pionniers. Des innovations avant-gardistes, les statistiques sur les brevets, les évaluations Pisa, la création de l’École polytechnique fédérale de Zurich ou encore l’introduction de l’apprentissage professionnel moderne à la fin du XIXe siècle témoignent de la capacité des Suisses à se positionner en tête des classements mondiaux en matière de compétitivité et de qualité de vie.

Un point parmi d’autres qu’Engels a négligé dans son analyse de la Suisse, c’est le principe selon lequel la misère rend flexible. Il ne pouvait pas s’imaginer que ce pays, l’un des plus pauvres d’Europe jusqu’au milieu du XIXe siècle, allait bientôt devenir l’un des plus riches du monde. Et il ne pouvait pas non plus se figurer quels facteurs permettraient et favoriseraient une telle évolution.

Ce qui distingue la Suisse

En rétrospective, on peut citer ici (sans prétendre à l’exhaustivité) cinq facteurs de succès particulièrement déterminants pour la Suisse.

Ouverture

Le facteur de succès «ouverture» revêt plusieurs dimensions. Premièrement, la Suisse, à l’instar des États-Unis, a fortement tiré parti de l’immigration. Les cas de Heinrich Nestlé (venu d’Allemagne) et de Nicolas Hayek (originaire du Liban) en sont des exemples frappants.

Deuxièmement, les entreprises suisses ont toujours été dépendantes des marchés étrangers. C’est pourquoi le maintien de la compétitivité a été un souci de tous les instants à l’échelle tant nationale que microéconomique.

La Suisse s’est montrée plus ouverte
que d’autres pays au changement structurel.

Troisièmement, la Suisse s’est montrée souvent plus ouverte que d’autres pays au changement structurel, le moteur de la créativité dans toute économie libre. Sans cette ouverture, les grandes sociétés et les entreprises chimiques de la région bâloise n’auraient pas pu émerger de l’industrie de la soie, ni la branche horlogère romande se réorienter dans les années 1980. De même, la structure sectorielle judicieuse de notre pays, qui associe production industrielle de pointe, tourisme et prestations financières, ne se serait pas développée avec autant de flexibilité. En outre, après la suppression du secret bancaire et en dépit des départs massifs de capitaux étrangers enregistrés ces dix dernières années, le secteur bancaire helvétique n’aurait certainement guère réussi à augmenter de 5600 à 6700 milliards de francs ses actifs sous gestion. Aujourd’hui, la Suisse administre près d’un quart de la fortune mondiale offshore, ce qui est non seulement supérieur au montant enregistré avant la crise financière, mais aussi à celui géré par tout autre pays, et ce grâce au changement structurel.

Fédéralisme

Un grand scepticisme envers l’État est fortement ancré dans la population helvétique, précisément du fait de ses différences culturelles. Cette pensée libérale concernant le rapport entre l’État et les citoyens explique en grande partie la concurrence que se livrent les cantons. Elle est également le principe directeur du fédéralisme et de la subsidiarité politique, laquelle actionne au final le frein à l’endettement public et garantit donc une charge fiscale modérée dans notre pays en comparaison internationale.

Des voisins riches

Il est évident que la Suisse n’aurait pas connu un succès de cette ampleur si elle s’était trouvée en Afrique ou en Sibérie. Elle tire évidemment profit de ses voisins riches et au degré d’éducation élevé que sont l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie (du nord) et la France. Ces pays constituent pour la Confédération helvétique de précieux marchés d’exportation et de travail, fort heureusement.

Paix

La Suisse a été préservée des grandes destructions causées par les deux guerres mondiales. Certes, ce facteur n’est pas un prérequis pour la prospérité, mais il a constitué un avantage à tous les niveaux. Et la neutralité helvétique n’en est pas la seule explication. Si l’Allemagne n’avait pas remporté autant de succès lors de son offensive à l’ouest en 1940, elle aurait certainement envahi la Suisse pour y ouvrir un deuxième front contre la France. Le fait que cela ne se soit pas produit a également contribué à la réputation de la Confédération helvétique en tant que havre de paix, de neutralité et de stabilité: un avantage en termes de localisation qui a perduré jusqu’à présent.

Politique axée sur la stabilité

La politique monétaire et économique de la Suisse, axée sur la stabilité, a contribué à son évolution pacifique. Elle était et reste un important facteur de succès de la place financière helvétique, et la stabilité a toujours été l’une de ses préoccupations majeures. Des particularités telles que la concordance, la démocratie directe, le fédéralisme et la conception libérale de l’économie sont des recettes éprouvées depuis 1842.

En outre, une politique monétaire très performante a favorisé la stabilité des prix et des valeurs patrimoniales en Suisse, ce qui n’a pas toujours été le cas chez nos voisins, lesquels ont tous expérimenté au moins une période de dépréciation fulgurante de leur monnaie, phénomène inconnu dans notre pays.

De bonnes raisons d’investir en Suisse

Pouvons-nous transposer ces facteurs de succès aux investissements en Suisse? La réponse est clairement affirmative. Voici à cet égard dix exemples tirés de notre étude «Schweizer Finanzmarktgeschichte seit 1900»3 (l’histoire du marché financier suisse depuis 1900):

  1. Depuis sa création, le franc suisse est la monnaie la plus solide du monde.
  2. C’est aussi la devise qui présente le taux d’inflation historiquement le plus faible du globe.
  3. Les emprunts d’État affichent la meilleure évolution historique du monde.
  4. Ils ont en outre enregistré le deuxième taux de fluctuations le plus bas en comparaison internationale.
  5. Le marché boursier helvétique est le septième du monde en taille, ce qui est trois fois supérieur à sa part dans l’économie mondiale.
  6. Il se distingue non seulement par sa taille relative, mais aussi par sa diversité sectorielle.
  7. Les actions suisses enregistrent, en monnaie locale, une performance bien supérieure à la moyenne.
  8. En dollars américains, elles ont même affiché la quatrième meilleure évolution du monde.
  9. Les actions suisses présentent le quatrième profil de risque le plus faible du globe.
  10. Elles offrent des primes de risque moyennes de 3,6% par an.

Voilà de bonnes raisons de s’enthousiasmer pour la Suisse et d’y conserver une surpondération de placements.

 

1 Paul Bairoch et autres éditeurs: «La Suisse dans l’économie mondiale», Librairie Droz, 1990. Source des données: Credit Suisse, ou autre si spécifié.
2 Friedrich Engels dans le Deutsche-Brüsseler-Zeitung (DBZ), n° 91 du 14 novembre 1847. Source des données: Credit Suisse, ou autre si spécifié.
3 Voir également: Credit Suisse Research Institute, «Switzerland: A Financial Market History», juillet 2017. Source des données: Credit Suisse, ou autre si spécifié.

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