Allemagne: amie ou ennemie de Donald Trump?

Bruno Cavalier, Oddo BHF

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L'Allemagne est en première ligne face au feu venant de la Maison Blanche, pour l’instant sous la seule forme de tweets.

 

Depuis qu’il est président, Donald Trump a plusieurs fois critiqué l’Allemagne, l’accusant presque de manipulation de devise et la menaçant de droits de douane sur ses exportations emblématiques, les voitures. Premier exportateur européen, l’Allemagne est en première ligne face au feu venant de la Maison Blanche, pour l’instant sous la seule forme de tweets. Un choc négatif sur son commerce pourrait freiner sa croissance, et par suite celle de ses voisins. Trump est une menace à considérer. Une autre, moins imminente mais sans doute plus sérieuse, est liée au Brexit. Gare donc aux prochaines enquêtes de climat des affaires.

Feu et furie dans la guerre commerciale sur twitter

La guerre n’est pas encore déclarée, on en est encore qu’au stade des escarmouches, mais le risque de protectionnisme a des chances de planer comme une menace latente tout au long de cette année électorale si importante pour Donald Trump (le contrôle du Congrès est en jeu). Le président américain a signé une hausse des tarifs douaniers sur les importations d’acier et d’aluminium, avec une exemption pour les «vrais amis», dont ne font pas partie pour l’instant les Européens! Il multiplie les attaques contre tous les pays ayant des excédents commerciaux vis-à-vis des États-Unis. C’est le cas de l’Europe, au premier chef de l’Allemagne. En 2017, l’Allemagne a exporté 112 milliards d'euros de biens aux États-Unis, aboutissant à une balance excédentaire de plus de 50 milliards d'euros.

La menace est explicite: pour remédier à cette situation, les États-Unis seraient prêts à taxer les importations européennes, en particulier les automobiles, le produit-phare de l’économie allemande. Ce n’est pas la première fois que l’Allemagne est ainsi intimidée. Par le passé, Donald Trump s’en était pris aux manipulateurs de devise, sans cacher que l’Allemagne était dans la ligne de mire. Il faut remplir trois critères pour être ainsi qualifié:

  1. avoir un surplus commercial bilatéral supérieur à 20 milliards de dollars (c’est le cas);
  2. avoir un surplus de son compte courant dépassant 3% du PIB (l’Allemagne est à 8%);
  3. être intervenu sur le marché des changes pour affaiblir sa devise. Ce troisième critère n’est certes pas rempli (l’euro s’est apprécié depuis un an, et la BCE n’a mené aucune opération de ce genre) mais, avec la clique de yes-men entourant le président, l’Administration pourrait sans grande difficulté produire un rapport sur mesure pour critiquer les pays européens et intensifier la pression.
«Le commerce peut subir des chocs ponctuels,
qui ne sont pas sans effets sur le climat des affaires.»

Il est généralement admis qu’une guerre commerciale ouverte est improbable à cause des dommages mutuels qu’elle cause aux belligérants, l’exemple fameux étant les tarifs Hawley-Smoot promulgués en juin 1930 aux États-Unis et qui ont aggravé, et non pas atténué, la crise  de 1929. Le commerce peut néanmoins subir des chocs ponctuels, qui ne sont pas sans effets sur le climat des affaires. Après l’annexion de la Crimée par la Russie en février-mars 2014 et l’adoption rapide de sanctions commerciales par l’Europe, l’indice IFO avait lourdement chuté. Il y avait eu sept mois de baisse à la file à compter d’avril 2014. On se gardera de tout mettre sur le compte de ce seul événement mais la sensibilité à la question des exportations est extrêmement forte en Allemagne. Faut-il craindre une réaction similaire si Trump met ses menaces à exécution?

Pour commencer, on doit noter que la situation économique actuelle est très différente de celle de 2013, pour le monde et pour l’Europe. À l’époque, la zone euro émergeait juste de sa double récession. Dans ce contexte, la fermeture du marché russe, aussi modeste soit sa part dans le total du commerce allemand, n’était pas compensée par le dynamisme des autres pays. Aujourd’hui, les voisins de l’Allemagne sont en pleine reprise. En moyenne entre 2015 et 2017, les exportations de l’Allemagne vers le reste de l’Europe ont progressé de 60 milliards d'euros environ, mais ont été quasi-stables (-2,2 milliards d'euros) vis-à-vis des États-Unis (l’effet-change étant modeste sur cette période). L’accélération de la croissance allemande en 2017 doit beaucoup au commerce extérieur, mais c’est surtout la demande émanant de ses voisins européens qui a poussé en ce sens, non celle venant des États-Unis. Par ailleurs, le biais protectionniste de Donald Trump doit être relativisé pour l’instant. Les droits de douane sur l’acier et l’aluminium ne vont toucher que 2 des 40 milliards d'euros d’exportations allemandes de ce secteur, qui lui-même ne représente que 3% du total des exportations.

Pour examiner en détail l’exposition commerciale de l’Allemagne, nous avons distingué (en colonnes) les exportations selon 19 secteurs et (en lignes) selon quatre destinations sélectionnées que sont les États-Unis, la Chine, le Royaume-Uni et la Russie. Pour chaque ligne, nous indiquons le montant absolu des exportations en milliards d'euros, leur part en pourcentage dans le total du secteur considéré, et un indice de prix relatif mesurant le prix des exportations allemandes du secteur x vers un pays donné par rapport aux prix mondiaux des exportations allemandes de ce secteur. Plus cet indice est élevé, plus il signale que les produits concernés sont à haute valeur ajoutée.

Examinons quelques cas particuliers:
  • Le secteur des équipements et produits médicaux représentaient pour 17M€ d’exportations vers les États-Unis en 2017. Le marché américain représentait 18% des débouchés du secteur. L’indice de prix relatifs se situait 188% au-dessus de la moyenne mondiale, signe que les produits concernés sont très spécifiques et sans substituts immédiats. La menace latente est une réforme du système de santé aux États-Unis, dont on sait qu’il se caractérise par une dérive structurelle des coûts. Ce n’est pas la priorité de l’Administration Trump semble-t-il.
  • Vient ensuite le secteur automobile: 20 milliards d'euros d’exportations vers les États-Unis, soit 15% des exportations automobiles allemandes. L’indice de prix relatif est supérieur à la moyenne mondiale (+25%). C’est ce secteur qui a fait l’objet des menaces de droits de douane les plus directes. Selon une étude du think-tank Bruegel, des droits de douane à 35% sur les exportations automobiles européennes pourraient faire baisser les exportations du secteur de 15 à 50% selon les hypothèses retenues sur les élasticités-prix de la demande. Appliqué au cas allemand, cela mettrait la baisse des exportations automobiles entre 3 à 10 milliards d'euros. Un jour, Donald Trump s’était lamenté que tout le monde avait une Mercedes devant sa maison sur la Cinquième Avenue, mais qu’on ne voyait assez peu de Chevrolet en Allemagne! Est-ce que les Américains potentiels acheteurs de Porsche se reporteront vers Cadillac? Quoi qu’il en soit, on voit que les impacts sont quasi négligeables à l’échelon macroéconomique. Mais ils peuvent causer beaucoup de mal à tel ou tel constructeur en particulier.
«La conduite de la politique de Trump
ne paraît pas toujours d’une cohérence parfaite.»

Assurément, le risque protectionniste ne doit pas être négligé, surtout dans la phase d’escalade verbale que nous traversons. La mise à exécution des menaces est une autre affaire. La conduite de la politique de Trump ne paraît pas toujours d’une cohérence parfaite. Il est tout à fait possible que l’Allemagne et l’Europe sorte du viseur, car somme toute leurs excédents commerciaux avec l’Amérique font presque pâle figure comparé à ceux de la Chine. Le risque pour l’Allemagne ne s’arrête pas hélas aux sautes d’humeur de Donald Trump. A moyen terme, la question du Brexit est peut-être plus inquiétante. Une fois passée la période de transition qui est censée courir jusque fin 2020, un nouveau régime de relations commerciales entre l’UE et le Royaume devra être mis en place, qui pourrait être moins avantageux que le régime actuel, soit à cause de droits de douane, soit plus vraisemblablement à cause de barrières non tarifaires.

L’an dernier, les exportations allemandes vers le Royaume-Uni se sont élevées à 84 milliards d'euros. Le secteur automobile est à nouveau en première ligne avec un volume d’exportations presque égal à celui allant aux États-Unis (19 milliards d'euros). Contrairement aux autres secteurs, les exportations y sont plus bas de gamme avec un prix de vente des voitures environ 10% sous la moyenne. Le risque de substitution en cas de barrières tarifaires est important. Pour le secteur automobile allemand, le Brexit est une menace plus lourde que Trump. Au sommet de la semaine prochaine, le Conseil Européen devrait adopter ses lignes directrices concernant la négociation de la future relation commerciale UE-UK. L’objectif est de ne lever aucune barrière dans le commerce des biens. Ce serait évidemment une bonne nouvelle pour les industriels de part et d’autre de la Manche. Reste à savoir si le gouvernement britannique acceptera une telle option qui laisse dans le flou le commerce des services, très important pour la place financière de Londres. On peut s’attendre à tout le moins que la question des frictions commerciales ne disparaisse pas du radar des risques à court terme.