Actions des émergents: une opportunité sur fond de difficultés

Shoaib Zafar, SYZ Asset Management

6 minutes de lecture

Tandis que les marchés mondiaux continuent d’être secoués par des turbulences, les actions des marchés émergents constituent une niche de valeur.

 

  • Les actions des marchés émergents ont été à la peine en 2018, mais cette tendance pourrait être sur le point de changer.
  • La résolution permanente du différend commercial sino-américain, le ton plus conciliant de la Réserve fédérale et la baisse des cours du pétrole pourraient être autant de catalyseurs positifs pour la classe d’actifs.
  • Nous décelons des opportunités intéressantes assorties de décotes attractives dans l’univers des actions émergentes, notamment en Chine, au Brésil et en Russie.

Les actions émergentes ont-elles subi une baisse excessive cette année?

Rares sont les classes d’actifs qui ont autant souffert que les actions et les monnaies des pays émergents cette année. L’indice MSCI Emerging Markets accuse une baisse d’environ 17% en dollars US depuis le début de l’année, alors que l’indice MSCI World (en USD) a relativement bien résisté jusqu’à la fin du troisième trimestre et affiche désormais un repli d’environ 7% sur l’année en cours.

Performance de différents marchés émergents par rapport au MSCI World

(USD, depuis le début de l’année)

Source: Bloomberg, en USD.
Données en date de décembre 2018

Alors qu’elle paraissait salutaire à l’origine, la correction des actions émergentes les plus en vue intervenue au printemps s’est nettement aggravée dans le courant de l’année, les entreprises actives dans la chaîne d’approvisionnement des smartphones (Hong Kong, Corée du Sud, Taïwan), celles du secteur automobile (Chine, Inde, Corée du Sud) et les acteurs locaux de la consommation (Chine, Inde) affichant dans chaque cas de fortes baisses depuis le début de l’année. Un ensemble de facteurs a contribué à ce revers, notamment le raffermissement du dollar, la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis, les inquiétudes liées aux coûts du service de la dette, les tensions commerciales, le bras de fer politique entre Washington et son allié la Turquie, et pour finir les craintes de ralentissement de l’économie chinoise.

A moins d’une récession mondiale, les actions émergentes nous paraissent attrayantes au regard de leurs niveaux survendus actuels sachant que des catalyseurs positifs se dessinent, en premier lieu un accord commercial entre les Etats-Unis et la Chine et le ralentissement du cycle de hausse des taux de la Fed. Le récent décrochage des cours du pétrole apporte également un soutien aux importateurs d’énergie que sont notamment la Chine et l’Inde. Alors que les actions émergentes affichent une décote d’environ 30% par rapport aux marchés mondiaux, leurs valorisations actuelles semblent intégrer les difficultés auxquelles les pays émergents sont confrontés, mais pas leur possible solution.

Les économies émergentes ont pour la plupart tiré
des enseignements importants de la dernière crise financière.

Qui plus est, les économies émergentes ont pour la plupart tiré des enseignements importants de la dernière crise financière en bonne et due forme qui les a frappées au début des années 2000. Elles sont en majorité bien mieux diversifiées aujourd’hui qu’elles ne l’étaient il y a vingt ans et bon nombre d’entre elles ont accumulé des réserves considérables. Leurs banques centrales ont gagné en crédibilité et des pays comme la Chine ont appris à maîtriser l’inflation en gérant la politique budgétaire.

Examinons certaines des difficultés auxquelles les pays émergents sont confrontés à l’heure actuelle.

La guerre commerciale est un jeu à somme négative

La Chine exporte près de quatre fois plus de biens et de services vers les Etats-Unis qu’elle n’en importe en valeur, et ce montant ne représente qu’environ 4% de son PIB. L’économie chinoise axée sur l’export est parvenue à maintenir un solde commercial positif (bien qu’en recul ces derniers temps) avec la plupart de ses partenaires commerciaux. Les excédents générés ont alimenté la croissance locale, les subventions à l’industrie, le développement accéléré de la propriété intellectuelle (la Chine est désormais le numéro 1 mondial des dépôts de brevets, voir graphique ci-dessous), la transition vers une économie axée sur la consommation et en particulier l’accroissement du poids de la Chine sur le plan géopolitique.

Evolution des demandes de brevets des cinq premiers pays en nombre de dépôts

Remarque: EPO: Office européen des brevets. Les cinq premiers pays ont été sélectionnés sur la base du nombre total de brevets déposés en 2016.

Source: WIPO. Données en date de septembre 2017

En revanche, cet excédent expose la Chine aux critiques de ses partenaires commerciaux, en particulier des Etats-Unis. Après avoir critiqué la Chine pour sa politique commerciale, la gestion de sa monnaie et ses pratiques en matière de droits de propriété intellectuelle, l’administration Trump est passée cet été à la mise en place de sanctions sous forme de droits de douane. Jusqu’ici, USD 250 milliards de marchandises chinoises figurent sur une liste de taxes douanières, et le président Trump continue de menacer la Chine de nouveaux droits de douane. La situation est désormais susceptible d’évoluer dans un sens comme dans l’autre: les Etats-Unis pourraient soit imposer des droits de douane sur la totalité des importations chinoises (USD 500 milliards de marchandises) soit les réduire considérablement. Nous estimons toutefois qu’il existe une forte probabilité de règlement durable du différend.

Les marchés émergents ne représentent encore
que le quart de la dette en circulation au niveau mondial.

Ce sentiment tient en partie au fait que Pékin semble prendre conscience du risque d’être le grand perdant dans ce jeu à somme négative que constitue la guerre commerciale avec les Etats-Unis. D’où sa réaction relativement modérée et soigneusement ciblée. La Chine a par exemple imposé des droits de douane sur le soja, une production clé dans certains des Etats qui ont voté pour Donald Trump. De plus, d’autres partenaires commerciaux mettent la pression sur la Chine pour l’inciter à faire d’importantes concessions. Par ailleurs, l’accord de dernière minute trouvé sur l’ALENA en septembre montre que les conseillers économiques du président Trump sont conscients des dangers associés au prolongement de la guerre commerciale.

Suite à la trêve temporaire conclue lors du sommet du G20 en novembre, nous considérons que les deux pays devraient parvenir tôt ou tard à régler leur différend de façon permanente. Une telle issue serait saluée par les marchés financiers.

Quel impact la hausse des taux américains aura-t-elle sur les pays émergents endettés?

Selon l’Institute of International Finance (IIF) du FMI, la dette totale (pas seulement les emprunts d’Etat) des marchés émergents en circulation a augmenté d’environ 40% ces dix dernières années. Or, les marchés émergents ne représentent encore que le quart de la dette en circulation au niveau mondial, dont le montant atteint USD 240 000 milliards.

Total de la dette mondiale – tous secteurs

(USD milliers de milliards, quatrième trimestre de chaque année)

Source: IIF Global Debt Monitor. Données en date de Octobre 2018

Le relèvement des taux et le resserrement de la liquidité ont pour effet d’accroître les coûts du service de la dette des pays émergents et développés endettés, bien que dans différentes proportions. C’est pourquoi les déclarations incisives de la Fed en octobre ont provoqué un réajustement à la hausse de la prime de risque des marchés développés et une forte augmentation de la volatilité des actions américaines. Mais la Fed va-t-elle maintenir son biais haussier alors que la croissance américaine ralentit et que la pression sur les salaires et les marges s’intensifie, notamment après le nouveau rehaussement de ses taux en décembre? Le faire risquerait de provoquer une récession. Nous pensons que la Fed va marquer une pause prolongée.

La baisse des cours du pétrole profite aux grands pays émergents

Les cours du brut ont plongé d’environ 30% ces deux derniers mois, ce qui profite largement aux grands pays émergents importateurs de pétrole comme la Chine et l’Inde car cette baisse devrait se traduire par une amélioration du solde des comptes courants, une plus grande stabilité des taux de change et un allègement des pressions inflationnistes. Ainsi, les autorités des pays concernés n’auront plus besoin d’intervenir au travers de mesures budgétaires ou autres afin d’enrayer le ralentissement de leur croissance économique.

Des opportunités s’offrent dans l’univers des marchés émergents

Considérons à présent certaines des opportunités d’investissement que les marchés émergents recèlent à l’heure actuelle.

Les actions russes par exemple sont actuellement relativement bon marché: leur PER de 5 fois les bénéfices attendus en 2019 représente une décote considérable par rapport à sa moyenne historique et à la moyenne actuelle des marchés émergents qui s’établit à 14 fois. En tant qu’exportateur de pétrole, la Russie présente l’un des points d’équilibre des coûts de production les plus faibles au monde, et de grandes compagnies pétrolières comme Rosneft, Lukoil et Tatneft sont bien placées pour maintenir, voire accroître, leur production à un coût inférieur à 30 dollars le baril. Ainsi, la récente baisse des cours du pétrole est peu susceptible d’entraîner une plus grande volatilité des bénéfices du secteur, qui représente un peu plus de 30% du PIB de la Russie et 70% de ses exportations.

Pour ce qui est des actions chinoises, un éventuel accord commercial avec les Etats-Unis pourrait provoquer le rebond instantané de secteurs comme les valeurs financières et les biens de consommation cycliques. La prudence que nous inspire la situation de la dette en Chine nous amènera à rechercher des sociétés peu endettées, que l’on peut trouver dans de nombreux secteurs. Nous privilégions une exposition diversifiée et cherchons à investir de manière sélective dans des sociétés dont les fondamentaux sont solides et le bilan est géré de façon prudente. Des valeurs de croissance dans le secteur de la consommation cyclique telles que Haier Electronics et Anta Sports et des sociétés plus défensives comme Guangdong Investment dans le secteur des services aux collectivités remplissent toutes les conditions requises.

Des opportunités d’investir dans des sociétés en redressement existent
dans les secteurs des services financiers et de la chimie.

L’économie indienne a échappé à la guerre commerciale et s’est redressée en 2018 après deux années difficiles (démonétisation en 2016 et TVA harmonisée en 2017). Cependant, à 19 fois les bénéfices attendus en 2019, le PER des actions indiennes représente une prime anormalement élevée par rapport à la moyenne des actions des marchés émergents et à sa moyenne historique. C’est pourquoi nous pensons être en mesure de trouver de meilleures opportunités dans d’autres segments des marchés émergents.

Au Brésil, l’attention se concentre actuellement sur le résultat favorable au marché qu’ont produit les récentes élections. Bien qu’un risque pèse encore sur la mise en œuvre des mesures espérées de la part du nouveau président, notamment son programme de réformes budgétaires et des retraites, les marchés financiers semblent prêts à gratifier généreusement toute avancée positive. Les banques brésiliennes devraient largement tirer parti du redressement de l’activité économique et de la demande de crédit, et la diminution des provisions ces deux dernières années a stimulé la croissance de leurs bénéfices. Les trois premières banques du pays, à savoir Banco do Brasil, Banco Bradesco et Itaú Unibanco, affichent aujourd’hui des ratios de fonds propres CET1 largement supérieurs aux exigences fixées pour 2019.

Les actions turques se sont redressées depuis l’assouplissement des sanctions imposées par les Etats-Unis. Toute nouvelle amélioration de la stabilité politique et de la visibilité économique pourrait soutenir aussi bien la livre que les actions turques, qui se négocient avec une décote de 40% par rapport aux actions des marchés émergents. Des opportunités d’investir dans des sociétés en redressement existent dans les secteurs des services financiers (Turkiye Garanti Bankasi) et de la chimie (Petkim Petrokimya Holding).

Enfin, le Pakistan a accompli des progrès en termes de stabilité politique et économique. Le nouveau gouvernement élu cette année semble disposé à prendre des mesures impopulaires, telles que l’augmentation des taxes sur le gaz, afin de stimuler l’économie. Avec l’aide du FMI, et pour peu que les réformes budgétaires promises soient appliquées, la toile de fond macroéconomique pourrait rapidement s’améliorer et conduire à une revalorisation des actions du pays, qui affichent un PER sur 12 mois de 7,1 et une décote de 50% par rapport à l’indice MSCI Emerging Markets. Les entreprises actives dans le développement des infrastructures et les services financiers pourraient devenir des opportunités intéressantes à mesure du redressement de la confiance.

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