Vers un nouvel ordre mondial

Anna Aznaour

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La coopération entre les banques suisses et la Chine pourrait changer la face du monde. Interview du professeur Xiao Geng.

 

La Chine veut revoir l’ordre mondial. Plus de sécurité financière et moins d’incertitude dans les échanges commerciaux c’est l’objectif affiché des autorités de la contrée de plus d’un milliard trois cents millions d’habitants. Une ambition qui s’inscrit dans celle de développer davantage encore son produit intérieur brut, qui est passé, en 40 ans, de 2 à 15% du PIB mondial. Explications du professeur Xiao Geng – interviewé au hautement stratégique forum Huangpu* – sur les alliances que la Chine compte approfondir pour remodeler le profil mondial des échanges.

En tant que président du think tank hongkongais de finance internationale, quelle est votre vision sur l’avenir de l'importation/exportation chinoise?

La Chine, les États-Unis et l'Allemagne sont actuellement les trois principales plaques tournantes des échanges de produits et de biens de consommation. Je pense que les importations/exportations mondiales continueront à croître. Mais parallèlement, leur importance relative diminuera, car la Chine est en passe de devenir le premier marché mondial de consommation. Il y aura donc plus d'importations dans ce pays en raison des revenus plus importants de ses habitants. Tendance qui fera de la Chine le plus grand marché de consommation, en lieu et place des États-Unis.

La raison principale d’une meilleure coopération
Chine-Europe est d’ordre monétaire.
La guerre commerciale actuelle entre la Chine et les États-Unis impacte-t-elle les relations commerciales entre la Chine et l'Union européenne?

L’Union européenne est en réalité beaucoup plus grande que les États-Unis et la Chine approfondit, chaque jour un peu plus, ses rapports commerciaux avec elle. En particulier grâce à Guangdong, sa région de la Grande Baie, très ouverte sur le monde. La tension avec les États-Unis renforce encore plus ces liens avec les partenaires européens, qui se préparent, comme la Chine, à anticiper les risques provenant de ce pays qui est en train de détruire les relations commerciales mondiales.

Y a-t-il un autre point de convergence entre la Chine et l’UE, à part le fait de faire front commun contre les décisions américaines?

Oui. La raison principale pour une meilleure coopération Chine-Europe, outre celle de leur système commercial commun, est d’ordre monétaire. Le dollar américain est à ce jour la devise de réserve pour tous les pays. Cela signifie que le gouvernement américain doit imprimer plus de dollars, et, par corollaire, les Américains dépensent en réalité plus qu’ils ne produisent, ce qui crée un déficit commercial. Et, tant que cette situation perdurera, les États-Unis devront faire face à la hausse de leur dette nationale et continuer à subir leur faible taux d’épargne, qui finalement impacte également le reste du monde. D’où l’importance de la coopération entre la Chine et l’Europe.

Il faut migrer l’utilisation
du dollar à un panier de devises.
Dans l’état actuel des choses, que proposez-vous comme solution?

Nous devons créer quelque chose comme la monnaie du panier du FMI, le SDR. Ce qui peut fondamentalement migrer l’utilisation du dollar à un panier de 40% de dollars, 30% d’euros, 10% de yuans chinois, 10% de yens japonais, 8% de livres sterling. Ce type de coopération est important pour créer ce que j’appelle un «ordre international» dans les domaines du commerce, de la finance, de la sécurité, etc. Dans ce cas de figure, Hong Kong pourrait jouer un rôle déterminant si son dollar intégrait le panier actuel. Ceci aboutirait immédiatement à un nouveau type de fonds mondial, dans lequel la monnaie de Singapour serait également la bienvenue. Le monde a besoin de sécurité financière. Or, aujourd’hui, un seul pays peut tenir en otage tous les autres grâce à sa devise. Et pour corriger cette donne, la Suisse a un rôle important à jouer.

Comment voyez-vous la participation de la Suisse à cet ambitieux projet?

Dans ce projet, la première étape consiste à visualiser le marché de la dette liquide et profonde à l'aide de la devise du panier. La Suisse peut jouer un rôle particulier en Europe grâce à ses banques et institutions financières internationales pour lever des fonds dans des monnaies communes, et les investir ensuite dans de grands projets d'infrastructures dans diverses régions du monde. Qui va les acheter? Les Chinois, car ils ont beaucoup d'actifs en RMB et doivent également détenir des actifs offshore. Or, si les Chinois se mettaient à acheter des dollars comme monnaie étrangère, cela poserait problème, contrairement à l’acquisition de ces devises qu’ils pourraient conserver longtemps sans pour autant impacter les systèmes financiers. En parallèle, les fonds de pension étrangers, notamment en Europe, doivent également détenir davantage de monnaie chinoise, car ils ne disposent pas de suffisamment d’actifs en RMB. Une bonne affaire pour tous donc, car la Chine se diversifie en réduisant ses actifs en RMB et en achetant des actifs offshore et les étrangers acquièrent des actifs chinois.

Les États-Unis n'utilisent pas le dollar
de manière très responsable.
Quelle influence aurait ce projet sur la politique internationale?

Actuellement, l’utilisation du dollar américain engendre beaucoup de coûts et de risques, car nous devons d'abord le convertir en euros. C'est très compliqué. D’autant plus que les États-Unis ne l'utilisent pas de manière très responsable: «Mon dollar, votre propriété». Par exemple, de nombreux pays dépendent des importations d’énergie d’Iran et de Russie et si les États-Unis les qualifient d’«ennemis» cela perturbe toutes les relations commerciales et aussi diplomatiques entre États. Raison pour laquelle la Chine, la Suisse, l’Europe et les autres pays asiatiques doivent travailler ensemble à la création de nouveaux systèmes en coopérant autour de projets communs comme celui d’OBOR**. Et ceci, non pas dans l’objectif de discriminer les États-Unis mais dans l’intention d’apporter plus de fiabilité et de neutralité aux relations internationales.

* Huangpu International Business Media & Think Tank Forum
** OBOR – One Belt, One Road