Une mauvaise gouvernance n’est jamais sans conséquence

Yves Hulmann

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Pour René Nicolodi de Swisscanto Invest, mesurer l’impact des placements durables représente un défi qu’il faut continuellement améliorer.

Les volumes investis dans les placements durables sont en plein boom actuellement. Comment peut-on mesurer toutefois leur impact sur l’entreprise, l’environnement ou la société? Swisscanto Invest a effectué la semaine dernière une présentation consacrée à cette question. Entretien avec René Nicolodi, chef de la recherche actions et thèmes («head of equities & themes») chez Swisscanto Invest.

Au cours de ces dernières années, les volumes investis dans les placements durables ont augmenté de manière quasi exponentielle. Comment mesure-t-on l’impact concret de ces investissements - dispose-t-on de données suffisantes pour évaluer leurs effets? 

La question est tout d’abord de savoir comment on définit cet impact. Souvent, on le mesure en relation avec un portefeuille d’investissement. Ainsi, il est par exemple possible d’évaluer comment les émissions de CO2 d’un portefeuille ont été réduites en comparaison de son benchmark. Avec les stratégies de placement durables, il est possible d’obtenir des réductions de plus de 50% de celles-ci par rapport à l’indice de référence. La mesure de l’impact des placements durables est un défi qu’il faudra continuer d’améliorer. Il est par exemple plus difficile pour les fonds en actions traditionnels d’évaluer ces effets précisément. Pour certaines autres stratégies de placement, c’est en revanche plus facile. Dans la micro-finance, il est en comparaison beaucoup plus facile de mesurer concrètement cet impact, car chaque montant investi est dès le départ destiné à financer un projet ou une activité bien précise.

«Les objectifs de développement durable aident à définir
un cadre autour duquel tous peuvent s’orienter.»
On a beaucoup parlé ces dernières années des objectifs de développement durable («Sustainable Development Goals», SDGs). Aident-ils à mesurer l’impact des placements durables? 

Très certainement – ils aident à définir un cadre d’objectifs autour duquel tous peuvent s’orienter. En prenant en compte ces 17 objectifs – qui se subdivisent eux-mêmes en plusieurs sous-objectifs -, l’impact de l’activité d’une société est plus facile à attribuer à telle ou telle catégorie. Si l’on prend l’exemple du fabricant zurichois d’appareils d’aide auditive Sonova, on peut estimer que les produits de cette entreprise contribuent, en particulier dans les pays émergents, à réduire la pauvreté et facilitent l’accès à la formation. A l’intérieur des critères ESG (Environment, Social and Governance), Sonova a un impact positif d’un point de vue social. Idem pour la société Millicom qui développe l’infrastructure pour les systèmes de téléphonie mobile dans les pays émergents : cette société a un impact social positif dans le sens où elle facilite l’accès aux services financiers pour des populations situées dans des régions où il n’existe souvent aucune offre dans ce domaine.

Comme vous l’avez présenté mercredi, Swisscanto Invest a élaboré une sorte de grille d’analyse, permettant de résumer sur une page l’évaluation d’une société du point de vue des critères ESG. Peut-on résumer le caractère durable ou non d’une multinationale sur une seule page A4?

Cet outil d’analyse est avant tout utile pour nos gérants de portefeuille et analystes qui investissent de manière traditionnelle. En effet, un tel outil les aide à avoir une meilleure base de décision grâce à la prise en compte de critères complémentaires à ceux de la finance traditionnelle. Tenir compte des critères de durabilité permet, par exemple, de mieux anticiper certains risques – perçus comme non financiers au départ - mais qui en fin de compte peuvent ensuite avoir un effet négatif sur le cours de l’action. Par exemple, il arrive parfois qu’une entreprise réalise d’excellents résultats grâce au succès obtenu par ses produits sur le marché, en dépit de mauvaises pratiques en termes de gouvernance. Dans une première phase, le fait d’avoir de mauvaises notes en matière d’audit, une absence de séparation entre la direction et le conseil d’administration sera sans conséquence pour le cours de l’action. Mais, à plus long terme, de mauvaises pratiques en matière de gouvernance finissent par avoir toujours des conséquences sur une entreprise. Un mauvais management se reflète tôt ou tard dans la performance d’une entreprise – la question est de savoir quand.

Certains investisseurs ne se soucient cependant pas du tout des aspects ESG dans leur politique d’investissement. Comment les convaincre? 

Comme je l’ai dit, il peut y avoir des situations où une entreprise connaît un très grand succès grâce à un produit phare tout en ayant les «clignotants» au rouge – c’est-à-dire en ayant de mauvaises évaluations d’après les critères ESG. Si l’on prend un exemple récent, Tesla a connu une super performance en bourse pendant longtemps grâce à sa capacité d’innovation mais le cours de l’action de la société a récemment subi un revers, principalement suite aux discussions concernant son directeur. C’est à cela que sert notre grille interne d’analyse ESG: elle permet d’évaluer de manière structurée et systématique la situation d’une entreprise du point de vue de sa durabilité. Et cela pour toutes nos stratégies actions.

«Il faut s’attendre à ce qu’il y ait une standardisation de la notion de durabilité.»
Une question récurrente au sujet de la durabilité est la multitude des définitions qui s’y rapportent. Ne faudrait-il pas uniformiser ou standardiser davantage ce concept? 

La notion de durabilité dépend de la perception subjective de chacun. Pour certains, ce sont les critères environnementaux qui priment, d’autres sont plus sensibles aux aspects sociaux. L’Union européenne tente actuellement, entre autres avec le plan d’action de l’UE pour la finance durable (EU Action Plan on Sustainable Finance) d’élaborer une définition plus standardisée de la durabilité. Il est aussi question de définir des labels spécifiques. Personnellement, je ne suis pas sûr que l’on ait véritablement besoin d’une définition unique. Il faut néanmoins s’attendre à ce qu’il y ait une standardisation de la notion de durabilité – par exemple au moyen de labels pour les produits de placements.

Il y a quelques années, un client qui s’intéressait aux placements durables avait le choix entre un ou deux produits lorsqu’il contactait sa banque. Maintenant, l’offre de placements durables s’est multipliée. Choisir ne devient-il pas trop compliqué pour le client?

Je ne crois pas que la question du nombre de produits soit décisive. Actuellement, chaque client n’est pas confronté avec le sujet de la durabilité lorsqu’il discute avec un conseiller à la clientèle. Du fait que les processus de conseil sont devenus tellement standardisés, il reste souvent peu de temps pour parler des placements durables lors d’un entretien de conseil. Cela changera peut-être si la directive européenne MiFid 2 oblige les conseillers à la clientèle à inclure les placements durables dans le processus de conseil. 

Il existe, d’un côté, une abondance de fonds actifs spécialisés dans les placements durables ou qui du moins tiennent compte des principes ESG dans leur sélection. D’un autre côté, il y a encore peu d’ETF axés sur l’investissement durable. N’y a-t-il pas un besoin de rattrapage sur ce plan?

L’offre d’ETF ou de fonds indiciels incluant les principes de durabilité augmente peu à peu. En ce qui nous concerne, Swisscanto Invest se concentre, en premier lieu, sur des produits actifs en matière de durabilité. Nous n’excluons toutefois pas de pouvoir aussi offrir des solutions indicielles appropriées, par exemple pour les caisses de pension.