Navigation pour gestion privée

Nicolette de Joncaire

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Les GPS calculent les itinéraires compte tenu du réseau routier. Un concept applicable à la gestion de fortune pour Stéphane Monier de Lombard Odier.

 

Les besoins en investissements de la clientèle privée évoluent, du fait de la règlementation et de la réorganisation de la banque privée, et en raison d’une nouvelle approche plus responsable d’une frange croissante de la clientèle elle-même. La gestion privée doit se rapprocher des stratégies de placement adossées au passif (Liability Driven Investment) utilisées dans la gestion institutionnelle. Les explications de Stéphane Monier, Chief Investment Officer de la Banque Lombard Odier.

Quel est le sens de l’évolution en matière de gestion privée?

La classification classique des clients sur la base de l’affectation d’un profil de risque (Conservateur, Equilibré, Croissance) ne répond plus à leurs attentes. La performance est compliquée à expliquer et, surtout, la gestion est distante des besoins d’un client qui n’a pas nécessairement envie d’entrer dans une case et qui s’attend à un service beaucoup plus personnalisé, en adéquation avec la vision qu’il peut avoir de son avenir et de son patrimoine. Il est plus intéressant d’amener au client la technique financière pour répondre à ses véritables objectifs.

 On connaît le point de départ, on fixe le point d’arrivée
et on navigue au plus près pour se rendre de l’un à l’autre.
Comment procédez-vous?

De manière similaire à la méthode pratiquée pour l’allocation institutionnelle. Au départ, nous identifions en premier lieu les besoins en revenus du client, ce qui lui permet d’assurer le train de vie qu’il souhaite mener. Nous définissons le niveau de capital nécessaire et la manière de le placer en nous assurant que la probabilité de répondre à ces «besoins essentiels» soit le plus proche possible de 100%. Cette approche est directement inspirée des stratégies de placement adossées au passif (Liability Driven Investment) utilisées dans la gestion des caisses de pension. Dans un second temps, nous explorons ce que je qualifierais de «besoins aspirationnels» du client auxquels nous affectons le capital restant, ce qui leur confère presque inévitablement une probabilité inférieure de réalisation, par exemple 60%. Nous travaillons ensuite à améliorer cette seconde probabilité pour nous rapprocher toujours davantage de la volonté du client, en nous assurant que l’obtention des objectifs aspirationnels ne compromette jamais celle des objectifs essentiels. Je comparerais cette approche à celle d’un GPS: on connaît le point de départ (la situation actuelle), on fixe le point d’arrivée et on navigue au plus près pour se rendre de l’un à l’autre, en utilisant un itinéraire paramétré qui, lui aussi, correspond à la personnalité du client. Ce processus nécessite un dialogue continu avec un ou plusieurs individus dont l’existence ou les aspirations évoluent. 

Qu’entendez-vous par besoins aspirationnels?

Ils varient considérablement en fonction de la personnalité, de l’âge ou de la culture du client. Il (elle) peut désirer transmettre à ses descendants un patrimoine d’un certain montant, s’acheter un yacht ou se lancer dans un projet de reboisement écologique à grande échelle. 

La tendance éthique des investissements
se dessine clairement.
Que se passe-t-il en cas d’accident de parcours, de crise financière par exemple?

Le diagnostic doit être rétabli et les aspirations du client parfois revues à la baisse. Alternativement, le client peut aussi accepter un niveau de risque supérieur avec une réallocation différente du capital ce qui impacte la probabilité de réalisation de ses objectifs au terme fixé. 

La clientèle privée porte-t-elle un nouveau regard plus éthique sur ses investissements?

La tendance se dessine clairement. Je distinguerai toutefois deux types de clientèle en fonction de l’âge. Les plus âgés différencient investissement, basé exclusivement sur la performance financière, et philanthropie. Les plus jeunes, les Millennials, veulent combiner placements et éthique et se préoccupent de l’impact ESG de leurs fonds. Certains sont mêmes disposés à se contenter d’un rendement réduit s’il garantit que leur argent sera investi dans des projets dont l’impact est directement bénéfique à une cause, le micro-crédit par exemple. Le curseur est placé différemment de personne à personne. Il est pour qui l’environnement prime toute autre considération. Pour d’autres, le respect des droits humains est une priorité absolue, une bonne gouvernance paraît essentielle à d’autres encore. C’est la raison pour laquelle nous ne nous fions pas aux indices ESG, trop standardisés, mais construisons le portefeuille de chaque client, sur mesure, sur la base des données granulaires que nous obtenons des agences spécialisées et que nous classifions sur la base de notre propre méthodologie CAR1.

 

1 Lombard Odier a mis sur pied en 2012 une méthodologie pour distinguer les bons acteurs de ceux qui se contentent d’un marketing efficace. Sur la base de 115 informations extra-financières, l’équipe de Robert de Guigné a cherché à déterminer si elles correspondaient à une prise de conscience (C), une action (A) ou un résultat (R), afin de comprendre comment ils favorisent sur le long terme l’environnement, le social ou la gouvernance (ESG).