Les tensions sur les taxes diminueront après la rencontre Trump-Kim

Yves Hulmann

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Le spécialiste du crédit en Asie Carl Wong (RAM) explique pourquoi le président américain a accentué la pression sur la Chine.

Le marché du crédit en Asie reste peu connu des investisseurs en Europe. Carl Wong, gérant de fonds et spécialiste de ce segment chez RAM Active Investments, en explique les caractéristiques. Il souligne qu’en 2017, le taux de défaut dans le segment des obligations à haut rendement («high yield») en Asie était de 0,9%, l’un des plus bas au monde. Entretien.

Ces dernières années, il y a eu beaucoup de discussions parmi les économistes à propos du processus de transformation de l’économie chinoise, moins axée sur la production de masse et davantage tournée vers les produits et services à plus haute valeur ajoutée. Comment un investisseur en obligations doit-il en tenir compte?

Il y a un processus de transformation important au sein du secteur de l’industrie lui-même. Le nombre d’acteurs et d’émetteurs a constamment changé sur le marché du crédit en Asie ces dernières années. En ce qui concerne la Chine elle-même, d’énormes montants ont été investis pour financer toutes sortes de projets, avec une multitude de nouveaux participants investissant sur ce marché. En parallèle, de nouveaux émetteurs sont aussi apparus sur le marché dans le but de bloquer leurs coûts de financement à long terme. La manière d’utiliser le capital est beaucoup plus efficiente qu’auparavant. A présent, on assiste à une importante phase de consolidation au sein du marché du crédit, tout comme dans plusieurs branches d’activités importantes. Dans les technologies de l’information par exemple, seuls quelques groupes comme Alibaba, Tencent, Baidu dominent actuellement l’ensemble du secteur de l’e-commerce. Même tendance dans le secteur bancaire où beaucoup de petites et moyennes banques, confrontées à des problèmes de financement, ont été poussées en dehors du marché - au profit des cinq plus grandes banques qui ont pu consolider leur position. On peut également s’attendre à une évolution similaire dans l’immobilier ces prochaines années. Globalement, un processus de réduction de l’endettement aura lieu et les coûts de financement tendront à augmenter. Les grandes entreprises pourront se refinancer à meilleur compte que les petites, ce qui aura comme effet de propulsé la taille des grands acteurs vers de nouveaux sommets

Quels secteurs se développeront favorablement et lesquels seront sous pression?

Certains secteurs comme la formation, la santé, la consommation ou les énergies propres bénéficient à présent d’un vent favorable. En revanche, les matières premières, l’industrie manufacturière, les industries orientées vers l’exportation ou encore l’immobilier seront freinées dans leur essor, aussi en partie à cause de l’action du gouvernement. Il est également important de mentionner qu’à l’intérieur même du marché du crédit en Chine, d’importants écarts de valorisation apparaîtront.

«Les négociations sur la dénucléarisation de la Corée du Nord
et la rencontre avec son président Kim Jong Un jouent un grand rôle.»
Les craintes d’assister à une guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis - ainsi qu’avec d’autres de ses partenaires commerciaux - ressurgissent à intervalles réguliers au fil des déclarations de Donald Trump. Comment ce facteur d’incertitude affecte-t-il le marché du crédit en Asie?

Si l’on prend un peu de recul, on observe que la discussion au sujet de cette guerre commerciale a vraiment commencé au début du mois de mars. Le 2 mars, Donald Trump a évoqué l’application de nouveaux droits de douane sur l’acier et l’aluminium. Ensuite, il a lancé un autre programme de mesures d’environ 50 milliards de dollars en rapport avec les droits de propriété intellectuelle et les produits high-tech – après quoi, il a cité un autre chiffre de 100 milliards début avril. En réalité, personne ne sait sur quelle base ces montants articulés sont calculés! En réponse à ces mesures, Xi Xinping a promis – dans le but d’éviter une escalade - d’ouvrir davantage le marché chinois aux produits américains ainsi que le secteur financier aux investisseurs étrangers. Il a aussi réduit massivement les tarifs douaniers sur l’importation de véhicules américains en Chine afin d’apaiser la situation. Comme on le voit, il y a donc régulièrement des hauts et des bas dans les relations commerciales entre les deux pays, créant de la volatilité et du «bruit» à travers certains secteurs de l’économie.

En annonçant ces mesures, on dit souvent que Donald Trump veut en réalité plaire avant tout à son propre électorat, peu importe ce qui est réellement mis en place par la suite. Comment ses revirements de position réguliers sont-ils perçus en Chine?

Je pense qu’il faut revenir quelques pas en arrière pour bien comprendre le contexte de ces différentes mesures de guerre commerciale. Il y a bien sûr l’élection et les promesses électorales qu’il a faites durant la campagne. Ensuite, il y a eu toute la phase de débat à propos de l’influence de la Russie dans la campagne a duré jusqu’en janvier dernier. La guerre commerciale et les mesures tarifaires sont venues faire diversion juste après cet épisode. Enfin, et surtout, les négociations sur la dénucléarisation de la Corée du Nord et la rencontre avec son président Kim Jong Un jouent un rôle important. Dans ce contexte, les Etats-Unis cherchent à exercer une pression maximale sur l’ultime contrepartie qui prend part à ces négociations, à savoir le gouvernement chinois et non Kim Jong Un. Pour cette raison, après le sommet du 12 juin entre Donald Trump et Kim Jong Un, je pense que les tensions liées à une guerre commerciale vont ensuite diminuer.

«Le taux de défaut en Asie n’atteint même pas
la moitié de celui des autres pays émergents.»
Si l’on revient à la question de l’endettement en Chine, comment un investisseur qui achète des titres de dette d’entreprises chinoises doit-il intégrer ce facteur? Y a-t-il des secteurs à éviter?

Eviter toutes les entreprises qui sont trop endettées n’est bien sûr pas une solution! Tout a un prix. La question est de savoir si le prix est en adéquation avec les risques que vous encourrez. Cela étant dit, j’éviterais actuellement certains secteurs, compte tenu des risques élevés liés à leur mode de financement. L’immobilier requière à mon avis une certaine prudence. En moyenne, au cours des cinq dernières, les montants des émissions nettes alloués au financement de projets immobiliers se situaient entre 20 et 25 milliards de dollars par année – cette année, ce montant est estimé à quelque 50 milliards, soit le double. En d’autres termes, cela signifie que l’on verra une offre supplémentaire arriver sur le marché de l’immobilier. Je ne vois pas forcément un risque de faillite pour ces projets – mais cela signifie qu’il y aura une redéfinition du prix des emprunts dans ce secteur. Au lieu de payer par exemple 7,5%, un développeur devra offrir peut-être 9% de rendement cette année. Vous pouvez bien sûr détenir un emprunt jusqu’à l’échéance mais vous allez quand même souffrir des pertes d’évaluation calculées selon l’approche mark-to-market. Autre type d’emprunts à éviter: les emprunts d’entreprises chinoises à durée perpétuelle («corporate perpetual»). Ce n’est ni de la dette senior, ni des actions mais des instruments hybrides qui sont situés à mi-chemin entre ces segments. Compte tenu des avantages offerts par ces outils en termes de refinancement pour les entreprises, nous nous attendons à ce que d’importants montants soient émis en 2018 sous cette forme. Il s’agit là d’une catégorie d’actifs que nous cherchons à également éviter cette année.

Malgré des difficultés dans certains segments du marché du crédit, vous soulignez que le taux de défaut en Asie reste nettement plus favorable que dans d’autres marchés émergents. Qu’en est-il?

En 2017, le taux de défaut dans le segment des obligations à haut rendement («high yield») en Asie était de 0,9%. En comparaison, il se situait à 3,1% pour l’Europe de l’Est, à 2% en Amérique latine, à 3,2% au Moyen-Orient et à 2% en moyenne pour les marchés émergents. Autrement dit, le taux de défaut en Asie n’atteint même pas la moitié de celui des autres pays émergents. Et si vous le comparez avec le segment «high yield» aux Etats-Unis, ce taux se situait à 3% l’an dernier.