Le bon risque au bon moment

Salima Barragan

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Pour Richard Woolnough de M&G, une récession n'est pas imminente même s'il a quelque peu réduit le risque récemment.

Gérant star de M&G avec 19 milliards d’euros d’encours, Richards Woolnough, était de passage à Genève pour présenter la stratégie de son fonds obligataire. Allnews est allé à sa rencontre pour mieux comprendre une approche qui parait fonctionner quel que soit l’environnement de marché. «Un gérant doit être prêt à prendre le bon type de risque au bon moment», nous dit-il.  Pour l'heure, il estime que le marché de la dette des pays développés reflète la sophistication croissante des investisseurs et des émetteurs. Entretien.

Quels sont selon vous les facteurs clé pour gérer un fonds obligataire de cette taille?

Quel que soit l’encours géré, en tant que gérant d'un fonds obligataire stratégique, je commence toujours par élaborer une vue macroéconomique sur la direction probable de la croissance, de l'inflation et des taux d'intérêt dans les différentes économies. Cette analyse «top-down», combinée à des facteurs « bottom-up» tels que le niveau des spreads de crédit et les perspectives des taux de défaut, me permet d’affiner mon point de vue sur les opportunités de valeur relative présentes au sein des différentes classes d’actifs obligataires. À la lumière de cette analyse, je décide ensuite de l'allocation d'actifs du fonds, et des marchés sur lesquels je souhaite être positionné du point de vue de la duration. De façon plus large, je considère que le travail d'un gérant de fonds consiste à prendre des risques pour le compte de ses clients. Afin de dégager une performance satisfaisante pour vos investisseurs, vous devez être prêt à prendre le bon type de risque au bon moment.

Le premier semestre 2019 a été largement favorable
aux obligations à l’échelle mondiale.
Quelles sont vos perspectives sur les marchés d’emprunts d’État et d’obligations d’entreprises des pays développés?

Après une période difficile en 2018 pour les marchés financiers, le premier semestre 2019 a été largement favorable aux obligations à l’échelle mondiale. Ces dernières ont bénéficié du retour de l'appétit pour le risque, les investisseurs ayant été encouragés par les indications selon lesquelles la Réserve fédérale américaine pourrait suspendre son cycle de relèvement de taux. J'ai longtemps été d'avis que la Fed aurait besoin de relever ses taux, ce qui se reflète dans le positionnement du fonds par une duration courte en taux d'intérêt et une duration longue en crédit. Le marché anticipe actuellement une récession imminente, alors qu'un ensemble d'indicateurs économiques avancés suggère plutôt que le prochain retournement interviendra dans plusieurs années. En particulier, le marché du travail américain demeure très solide, ce qui est de nature à alimenter les hausses salariales dans le temps.

Vous restez positif et n'envisagez aucune récession imminente, mais vous avez pourtant un peu réduit le risque du portefeuille…

Oui, nous restons globalement positifs sur les perspectives de l'économie mondiale et sur les spreads des obligations d’entreprises. Nous ne pensons donc pas qu’une récession soit sur le point de se produire. Mais nous avons quelque peu réduit le niveau de risque du portefeuille au cours des dernières semaines à la suite de la solide performance qui a rendu les spreads des obligations d’entreprises un peu moins attractifs qu’en début d'année, l’exposition la plus importante du fonds demeure le crédit «investment grade».

Entre les obligations d’entreprises et les emprunts d’État, que favorisez-vous?

Nous préférons actuellement les obligations d’entreprises aux emprunts d’État, et ce pour différentes raisons. La première a trait à l'activité du marché primaire: des changements importants dans la dynamique de l'offre sont attendus à l'avenir. L'émission d’emprunts d’État devrait considérablement augmenter à mesure que le déficit budgétaire américain se creuse sous la présidence Trump, alors que la récente période de forte activité dans le domaine des fusions-acquisitions (financées par l’émission de quantités substantielles de dette) touche à sa fin. Selon nous, les valorisations des obligations d'entreprises restent attractives et nous sommes rémunérés pour prendre des risques.

Le marché est désormais beaucoup plus réceptif
à des émetteurs moins bien notés.
La qualité des obligations d’entreprises «investment grade» s’est fortement dégradée au cours de la dernière décennie. Comment l'expliquez-vous?

On a beaucoup écrit sur la détérioration de la qualité de crédit des marchés d’obligations d’entreprises au cours des dernières années. Cependant, ces nombreuses analyses ne permettent habituellement pas de disposer d’une vision complète. Il s’agit plutôt d'une classe d'actifs qui était autrefois très petite et seulement accessible à certains émetteurs, et qui s’est développée en largeur, en profondeur et en importance, pour finalement devenir disponible à un ensemble bien plus vaste d'entreprises. À bien des égards, les marchés d'obligations d'entreprises ont comblé le vide laissé par les banques. Ces dernières étaient en effet les financeurs traditionnels des entreprises au cours des années ayant précédé la crise financière, et avant que leur capacité et leur appétit à prêter ne soient réduits par la réglementation. La nature de cette classe d'actifs a également changé. Alors qu’autrefois, les investisseurs ne considéraient que les obligations d’entreprises «investment grade» comme alternative aux emprunts d’État, le marché est désormais beaucoup plus réceptif à des émetteurs moins bien notés. Cela reflète non seulement l'impact de la crise économique, mais aussi la sophistication croissante tant des investisseurs que des émetteurs.

Les emprunts d’État sont-ils en train de devenir une classe d'actifs plus volatile que dans le passé? 

Certes, les emprunts d'État peuvent être considérés comme des actifs relativement «sûrs»: les pays développés présentent en effet un très faible risque de défaut sur leur dette, de sorte que les investisseurs continueront d’encaisser régulièrement des coupons et récupéreront leur argent une fois les titres arrivés à échéance. Cependant, la volatilité, qui peut survenir au cours de la vie d’une obligation, reste un aspect important. Les investisseurs ne devraient pas sous-estimer l'impact des variations de prix sur la durée de vie d'un instrument. Aussi, la qualité de crédit de certains emprunts d’État (par exemple, ceux de plusieurs pays périphériques de la zone euro) s’est sans aucun doute détériorée ces dernières années.