La BCE remise en cause

Nicolette de Joncaire

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William De Vijlder: «La Banque centrale européenne a encore quelques cartouches… Mais pas des boites entières».

Publié début octobre, un mémorandum1 signé par d’anciens banquiers centraux aussi éminents qu’Otmar Issing2, Helmut Schlesinger3 ou encore Juergen Stark4, reproche à la Banque centrale européenne (BCE), de poursuivre des objectifs d’inflation et une soi-disant symétrie, non seulement irréalistes mais, de surcroit, non conformes à son mandat de garant de la stabilité des prix. Les critiques exprimées sont extrêmement sérieuses. Sont-elles justifiées? Nous avons eu l’opportunité de solliciter l’opinion de William De Vijlder, Directeur de la Recherche Economique du groupe BNP Paribas, à l’occasion de la 18e édition du Global Invest Forum de l’AGEFI à Paris qui s’est tenu les 10 et 11 octobre derniers.

Les critiques exprimées par les auteurs du mémorandum sont graves. Pouvez-vous revenir sur sa pertinence?

Ce mémorandum est important de par les personnalités qui l’ont signé et mérite qu’on l’étudie avec attention dans une perspective équilibrée. Je suis personnellement d’accord avec certains points mais non avec tous. Nous avons effectivement atteint un stade où les éventuels impacts négatifs de la politique d’assouplissement monétaire, en particulier sur le prix des actifs, pourraient en contrebalancer les effets positifs? Difficile à dire encore. Il nous faut davantage de données pour en juger définitivement. Par contre, il y a un certain nombre de points sur lesquels je ne partage pas l’avis des auteurs du mémorandum.

Les détenteurs d’actifs financiers en progression
se retrouvent du bon côté de l’histoire.
Lesquels en particulier?

Le mémorandum soutient que la BCE a justifié sa politique de 2014 par un risque de déflation mais qu’il n'y a, en réalité, jamais eu de spirale déflationniste. Cette déclaration me parait inexacte. Bien évidemment, tout dépend de la manière dont on calcule ce risque mais il me parait qu’en 2014, la peur d’une déflation était parfaitement justifiée. L’inflation chutait drastiquement dans de nombreux secteurs. Même si l’évolution des prix n’est pas entrée en territoire négatif, je serais donc sur ce point plus nuancé que les signataires du mémo. Il en est de même pour ce qui est de leurs critiques des objectifs de stabilité de prix de la BCE.

Ce mémorandum affirme aussi que la reprise du programme d’achats d’actifs décidée le mois dernier ne fait qu’induire un renchérissement du prix des actifs qui contribue à creuser le fossé des inégalités. Est-ce le cas?

Il est clair que sont favorisés ceux qui détiennent des actifs dont le prix sera poussé à la hausse par une telle politique. En d’autres termes, les détenteurs d’actifs financiers en progression – que ce soient des actions ou des obligations – se retrouvent du bon côté de l’histoire. La perception des inégalités ainsi créées doit cependant être étudiée avec le plus grand soin et dans une perspective large. Par essence, toute politique de réduction des taux d’intérêt facilite la capacité d’emprunter. En conséquence, si vous étudiez les agrégats économiques, les conséquences de la politique d’assouplissement monétaire sont extrêmement favorables à l’économie car elle génère un très grand nombre d’emplois. Si votre observation se porte au niveau des ménages individuels, il est effectivement possible que certains foyers aient souffert de conséquences négatives de cette politique. Les foyers dont la richesse est exclusivement conservée en dépôts bancaires y ont clairement perdu beaucoup comme les taux ont nettement baissé. Nous avons étudié cette question plus en détail pour déterminer l’impact de ces politiques sur le taux d’épargne.

Le FMI a fait du beau travail en préconisant de provisionner en zone euro
chaque année un matelas commun à utiliser en cas de croissance négative.
Avec quelles conclusions?

Notre étude s’est portée sur le Japon qui est un laboratoire d’expérience des comportements financiers car leur bulle financière date de 1989 et offre un vrai recul à l’observateur. Au Japon, on constate que depuis 2004, il y a eu effectivement un accroissement du taux d’épargne en conjonction avec une baisse des taux servis sur les dépôts. De là à y voir une relation de cause à effet, il y a un pas qu’il encore difficile de démontrer économétriquement mais, intuitivement, il parait probable que la baisse des taux servis sur les dépôts est de nature à engendrer une augmentation de l’épargne.

La Banque centrale européenne peut-elle encore jouer un rôle déterminant sur l’économie?

Il lui reste encore quelques cartouches mais pas des boites entières. La priorité de la politique économique en général devrait désormais être la stabilisation cyclique. En d’autres termes, mettre en place en dispositif pour et se mettre d’accord sur comment on luttera contre une récession qui, un jour, arrivera. Stimuler la croissance à long terme est également important mais, personnellement, je considère la gestion des retournements cycliques plus prioritaire. En matière de politique contracyclique, le Fonds Monétaire International a fait du beau travail en préconisant de provisionner en zone euro chaque année un matelas commun à utiliser en cas de croissance négative. Comptons sur Christine Lagarde pour contribuer à la création d’un tel dispositif.

 

2 Otmar Issing est un ancien membre du Conseil exécutif de la BCE
3 Helmut Schlesinger a été Président de la Banque centrale allemande, la Bundesbank
4 Juergen Stark est un ancien membre du Conseil exécutif de la BCE