L’investissement durable n’est pas optionnel

Yves Hulmann

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Pour Amanda Young d’Aberdeen Standard Investments, les critères ESG doivent être intégrés dans l’ensemble des processus d’investissement.

Alors que les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sont devenus un sujet incontournable dans la gestion d’actifs, comment intègre-t-on pratiquement au quotidien ces aspects dans les processus d’investissement? Le point avec Amanda Young, cheffe de l’investissement responsable («Global Head of Responsible Investment ») chez Aberdeen Standard Investments, nommée deux années d’affilée dans la liste de «Financial News» des 100 femmes les plus influentes en finance.

Vous avez plus de vingt ans d’expérience dans le domaine de l’investissement responsable. Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à l’investissement durable à une période où l’acronyme ESG était encore pratiquement inconnu?

J’ai débuté dans la recherche économique chez Rabobank International à Londres. Plus tard, j’ai commencé à m’occuper de la gestion de l’argent pour l’église, les œuvres de charité et le secteur public dans le cadre d’une institution appelée CCLA au Royaume-Uni. Notre travail ne se limitait pas à seulement exclure quelques activités de notre univers d’investissement mais à effectuer un véritable travail d’engagement. A savoir en allant parler directement avec les entreprises afin de voir comment elles pouvaient améliorer leur comportement dans certains domaines. Aujourd’hui encore, la notion d’engagement reste importante dans notre approche, dans la suite du travail effectué par Standard Life (ndlr: Standard Life a fusionné avec Aberdeen en 2017) depuis longtemps. Dès 1992, Standard Life avait mis sur pied une équipe spécialisée dans les questions de gouvernance d’entreprise. Le premier fonds éthique lancé par la société remonte à plus de 25 ans, ce qui nous confère aussi davantage de crédibilité dans ce domaine. Même aujourd’hui, notre processus d’investissement en matière ESG intègre toujours une approche éthique au sens plus large.

Dans le domaine des actions, chaque desk compte
au moins une personne responsable des aspects ESG.
Pratiquement, comment intégrez-vous les critères ESG dans votre approche d’investissement?

De manière générale, notre approche consiste à intégrer les critères ESG dans toutes les classes d’actifs et à prendre en compte cette dimension tout au long du processus d’investissement, et cela pour chacune des catégories d’actifs dans lesquelles nous investissons. Ainsi, dans le domaine des actions, chaque desk compte au moins une personne responsable des aspects ESG. Dans le domaine des actions asiatiques, par exemple, il y a un spécialiste ESG pour l’Asie. Les équipes en charge du processus de sélection des titres n’attendent pas tout d’un service externe qui leur fournirait une liste toute faite de sociétés dans lesquelles elles peuvent ou non investir. La décision d’intégrer ou non une entreprise dans l’un de nos fonds de placement ne se base ainsi pas sur l’obtention d’un simple score, attribué par un de nos services ou une agence externe, mais elle repose sur l’analyse faite par les équipes d’analyses.

Que se passe-t-il si une équipe d’analystes inclut des titres qui, ensuite, ne sont pas considérés comme étant conforme du point de vue des critères ESG?

Un aspect important à mentionner est le devoir de responsabilité du gérant de fonds. Celui-ci ne peut pas se satisfaire d’appuyer sa décision sur le fait qu’il a investi dans une entreprise ayant obtenu un score suffisant – par exemple 7,5 points sur 10. Le gérant du fonds doit démontrer qu’il a réellement pris en compte les aspects ESG dans son processus d’analyse d’une entité donnée.

Comment décidez-vous si une entreprise est conforme ou non du point de vue ESG? Certaines entreprises industrielles contribuent à la fois à réduire les émissions de CO2 dans certaines de leurs activités tout en continuant de polluer dans d’autres.

Il s’agit d’évaluer si nous pouvons opérer ou non avec une entreprise, en tenant compte aussi de son évolution. Nous n’avons pas une liste toute faite des activités qui seraient d’emblée «justes» ou «fausses». La question est de savoir si nous souhaitons nous engager ou non avec une entreprise en tenant compte d’une série de plusieurs critères.

Beaucoup d’investisseurs asiatiques, même sensibles
aux questions ESG, s’opposent à l’idée d’exclure entièrement le tabac.
Lesquels?

Il s’agit de critères se rapportant à la fois au changement climatique, à l’environnement, à la protection des droits de l’homme, aux aspects en rapport avec les conditions de travail, à la gouvernance d’entreprise - qui intègre aussi des aspects comme la diversité - ainsi que l’éthique en affaires qui, elle, inclut des questions comme la lutte contre la corruption. Le but est d’analyser chaque investissement potentiel en confrontant les entreprises à ces différentes questions.

Y a-t-il des secteurs d’activité qui sont acceptés par les investisseurs sensibles aux aspects de durabilité dans certaines régions du monde mais pas dans d’autres?

Certaines activités comme la fabrication d’armes à sous-munition ou de mines sont exclues partout aujourd’hui. Il en va différemment de secteurs comme le tabac. Le nombre de portefeuilles excluant toutes formes d’activités liées au tabac augmente, certes, partout à travers le monde mais ce secteur reste beaucoup mieux toléré en Asie. Beaucoup d’investisseurs asiatiques, même sensibles aux questions ESG, s’opposent à l’idée d’exclure entièrement le tabac. Il y a clairement une attitude différente en Asie au sujet du tabac qu’en Europe ou aux Etats-Unis.

Les multiples définitions et sensibilités en matière d’investissement durable ne rendent-elles pas la tâche toujours plus compliquée aux gérants de fonds?

Il faut bien sûr tenir compte des différentes motivations des investisseurs. On peut grosso modo répartir en quatre catégories les investisseurs ESG. La première est celle des investisseurs éthiques qui repose sur certaines valeurs ou croyances ; ceux-ci ont une approche avant tout basée sur l’exclusion. La deuxième est celle des investisseurs responsables et durables: ceux-ci souhaitent avoir des véhicules qui non seulement excluent certaines activités, par exemple les armes et le tabac, mais ils attendent aussi un engagement actif de la part du gérant. La troisième catégorie est celle de l’investissement thématique, axé sur un thème spécifique comme l’eau par exemple. La quatrième catégorie, plus récente, est celle de l’investissement d’impact. L’idée est ici d’allouer de l’argent dans un but spécifique avec un impact mesurable de l’investissement. Nous développons des produits qui tiennent compte de ces différentes préférences et priorités.