Investissement durable: entre hypocrisie et impact réel

Salima Barragan

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«Moralement, l’ESG a gagné la bataille, mais doit devenir de plus en plus concret», déclare Olivier Rousseau, Directeur exécutif du FFR.

Réduire l’empreinte carbone, exclure les entreprises des secteurs controversés, soutenir les causes environnementales: les fonds de pension ne peuvent plus ignorer la dimension de durabilité dans leur allocation. Cependant, réconcilier le rendement du capital et les risques avec les responsabilités sociétales n’est pas une mince affaire, car la qualité des données doit encore s’améliorer et le «greenwashing» n’est jamais loin. Entretien avec Olivier Rousseau, Directeur exécutif du FFR, le Fonds de Réserve pour les Retraites.

«Il y a une course pour s’afficher le plus exemplaire.»
Quelle est votre position vis-à-vis de l’ESG?

On y croit! Nous intégrons les critères ESG depuis les débuts du FFR (en 2004) de façon pragmatique et modeste avec des exigences d’incarnation de plus en plus fortes car les données deviennent de meilleure qualité. Mais nous restons un peu perturbés par l’importance que revêt l’affichage dans ce domaine. Il y a une course pour s’afficher le plus exemplaire. Le plus fondamental est que les données ESG sont encore médiocres et l’information est parcellaire. Il y a un combat à mener pour améliorer davantage la qualité des données et mesurer correctement leurs critères.

Avez-vous constaté des abus de «greenwashing»?

Évidemment, il y a beaucoup de «greenwashing» et de prestations mal fondées sur la profondeur et l’intégration de l’ESG, mais il y a également des gens sérieux. Il y a les pionniers, les «late joiner» et les «bullshitter», mais à travers des processus de sélection des gérants externes et due diligence, l’on peut se montrer plus exigeant. 

«Il faut choisir ceux qui ont des processus solides
traduisant des convictions honnêtes.»

Il faut donc choisir ceux qui ont des processus solides traduisant des convictions honnêtes. Par exemple, les sociétés fabricant du tabac ont toujours pratiqué un lobbying intensif pour que les autorités ne les empêchent pas de mener leurs activités. Certaines sociétés pétrolières, qui disent faire des efforts pour aller vers des situations plus soutenables, paient des armées de lobbyistes pour ne pas changer les lois.

Concrètement, comment évitez-vous de tomber dans ces pièges?

Nous avons une revue annuelle du portefeuille faite par notre consultant, dont la mission est d’identifier les controverses. Il va de soi qu’une société prise la main dans le sac à financer des lobbyings sera sanctionnée.

 

Genève, précurseur du développement durable

Lors de la conférence «Swiss Pensions Conference», organisée mardi à Genève par la CFA Society Switzerland, Genève a démontré son engagement face aux défis des investissements durables.

En tant qu’employeur, l’action de Genève commence par la promotion de l’égalité des sexes au travail. «Nous restons engagés dans ce combat car un Etat durable passe par la promotion des femmes», explique Nathalie Fontanet, Conseillère d‘État. Ainsi, le principe de non-discrimination des salaires, la tolérance des orientations sexuelles et de l’identité du genre sont inscrits sur la loi du personnel d’État. Accordant des congés de maternité de 20 semaines et de paternité de 10 jours, Genève fait mieux que les autres cantons.

En tant que partenaire, «L’État a un rôle exemplaire à tenir et exige un engagement similaire de la part de ses contractants», souligne la Conseillère qui assure exclure, par exemple, les entreprises ne respectant pas l’environnement.

En matière de finance durable, Genève peut compter sur un véritable écosystème local composé de 145 acteurs, dont la puissante fondation Ethos, qui promeut l’investissement responsable, et Symbiotics qui propose, entre autres, des obligations vertes. 

En 2017, la gouvernance était en tête des priorités des investisseurs. Or, une étude du CFA Institute sur l’impact du développement durable sur le prix des actions, démontre que d’ici 2022, le poids du critère environnemental aura doublé. Dans ce domaine, Genève fut le premier canton à émettre des obligations vertes, ce qui lui a valu d’élargir sa base d’investisseurs avec des caisses de pension et des assurances. Une première émission de 620 millions de francs suisses, levée en quelques heures à peine, a financé trois immeubles à haute performance énergétique.

Dr. Grégoire Haenni, de la Caisse de Prévoyance de l‘État, a également constaté que le changement climatique est la plus grande inquiétude des investisseurs qu’il côtoie. «Ce risque pourrait être le catalyste d’une crise financière», estime-il. Une crise qui pourrait, selon lui, autant toucher la sphère politique que sociale. La CPEG, dont les actifs se montent à 13,2 milliards de francs suisses, a une stratégie d’investissement qui s’inscrit dans la durabilité. «L’investissement durable n’est plus une niche et nous continuerons à privilégier les approches ayant un impact direct sur la société», déclare-t-il. – (SB)