Contrairement à 1999, les excès ne se limitent plus à un seul secteur

Yves Hulmann

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Pour Nick Sheridan, gérant chez Janus Henderson, on trouve désormais des titres excessivement valorisés dans de multiples branches.

Les marchés continuent de voler de record en record. Aux Etats-Unis, les indices S&P 500 et Dow Jones ont atteint en début de semaine dernière de nouveaux sommets historiques, tout comme c’est le cas pour le SMI en Suisse. Que faut-il penser de l’évolution récente des marchés? Y a-t-il des secteurs qui présentent des valorisations exagérées? Le point avec Nick Sheridan, gérant du fonds Janus Henderson Horizon Euroland Fund, qui combine une approche de type valeur et une approche de type qualité dans sa sélection de titres dans la zone euro.

Depuis début 2018, les marchés sont régulièrement passés de phases où ils étaient enclins à la prise de risque («risk-on») à des phases d’aversion envers le risque («risk-off»). En tant que gérant d’un fonds axé sur l’approche «value», comment analysez-vous la situation actuelle sur les marchés?

Au sujet du niveau actuel des marchés, il faut distinguer entre les Etats-Unis, où plusieurs indices évoluent à des niveaux situés à leur plus haut historique, et l’Europe, où ce n’est pas le cas de manière générale, à l’exception de certains marchés spécifiques. S’agissant de l’attitude face au risque des investisseurs, il faut distinguer entre deux types de risques. D’une part, il y a le risque sous-jacent lié à l’activité même de l’entreprise et à son modèle d’affaires, et, d’autre part, le risque d’évaluation. Pour le premier aspect, je pense que le niveau de risque lié aux activités des entreprises est relativement raisonnable. On parle certes beaucoup des risques de désintermédiation résultant de l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs ou de nouvelles technologies comme l’Internet des objets (IoT) ou l’intelligence artificielle (AI). Ces risques sont souvent perçus comme étant élevés mais je ne pense pas que tous les secteurs d’activité seront transformés de manière si spectaculaire par l’arrivée de nouvelles technologies ou nouveaux entrants sur le marché.

«On préfère acheter Tesla car on a l’impression de faire
quelque chose de bien pour le monde, de sauver le climat.»
Et qu’en est-il du risque d’évaluation?

Ici, la situation est différente. Le très faible niveau des taux d’intérêt encourage à une prise de risque excessive. Plus les taux d’intérêt sont faibles, plus les gens sont enclins à encourir des risques.

Observez-vous des similarités entre la situation actuelle et d’autres périodes, par exemple le tournant du millénaire? 

La situation actuelle présente certaines similarités avec les années 1999-2000 – mais également des différences. Le point commun est l’attitude des investisseurs. En 1999 ou 2000, en tant qu’investisseur, il n’était pas facile de dire: je vais acheter des actions d’entreprise actives dans le commerce de détail. Il valait mieux dire: j’ai acheté des sociétés du secteur des télécoms.

Actuellement, je pense que l’on retrouve un peu de cet état d’esprit. Les investisseurs ne veulent pas rater le «next big thing» et ils achètent des titres comme Netflix et Tesla. Personne n’a envie d’acheter des fournisseurs de composants pour l’automobile, même quand leur valorisation est attrayante, ou des sociétés actives dans la chimie. On préfère acheter Tesla - car on a l’impression de faire quelque chose de bien pour le monde, de sauver le climat - plutôt que Volkswagen qui fabrique principalement des véhicules à moteur classiques. Tout cela finit par entraîner des écarts en termes d’évaluation difficiles à justifier.

Comment le mesurer?

Pour ne donner qu’un seul exemple sur la base des chiffres de la capitalisation boursière à la fin de l'année 2018: la capitalisation boursière de Tesla atteint environ 115'000 euros pour chaque véhicule fabriqué contre moins de 7000 euros pour Volkswagen. En outre, Tesla n’est plus le seul fabricant de véhicules électriques que l’on trouve. D’ici 2025, le nombre de véhicules électriques va probablement tripler en Europe avec un marché répartit entre plus d’une dizaine de groupes automobiles, à commencer par Volkswagen, PSA, Toyota, Daimler, BMW, etc. Avec l’accroissement du nombre de véhicules électriques, la question qui se posera tôt ou tard est celle de savoir si une société active sur le seul segment spécifique des véhicules électriques, comme Tesla, aura les ressources nécessaires pour concurrencer les constructeurs établis qui disposent déjà d’une large infrastructure avec des centres de services sur tout le continent. Il y a actuellement un grand risque d’évaluation sur un titre tel que Tesla. S’il faut miser sur une valeur liée à l’automobile, je préfère choisir l’action Porsche qui revient en quelque sorte à acheter VW à un prix discount. La raison de cette décote est un litige en rapport avec un hedge fund qui remonte à plus de dix ans.

«Du fait que les taux d’intérêt sont si bas, tout le monde
s’est focalisé sur le projet d’entrée en bourse de WeWork.»
Identifiez-vous actuellement un secteur spécifiquement surévalué, comme c’était le cas des TMT (technologie, médias, télécoms) au tournant du millénaire?

De ce point de vue, il y a une grande différence entre la période actuelle et celle de la bulle Internet. En 1999, il était beaucoup plus facile d’identifier où se situait la bulle spéculative – elle se concentrait surtout sur le secteur des TMT. Maintenant, des situations de bulle spéculative apparaissent dans des secteurs très divers, allant d’entreprises actives sur des créneaux en vogue dans l’alimentation à l’immobilier.

Prenez le cas très médiatisé de WeWork, une société spécialisée dans la mise à disposition de locaux et de services de coworking. Il existe, dans ce même secteur, beaucoup d’autres entreprises valorisées à des prix beaucoup plus modestes et qui seraient intéressantes à suivre. Mais du fait que les taux d’intérêt sont si bas, tout le monde s’est focalisé sur le projet d’entrée en bourse de WeWork – difficile de comprendre pourquoi exactement. Actuellement, il n’y a pas un seul thème comparable à celui des TMT où se concentre l’essentiel de la bulle de 1999, les exagérations se situent plutôt en termes de styles d’investissement.

Vous pensez à l’écart d’évaluation entre les valeurs de croissance et d’autres catégories de titres?

Si vous prenez l’écart d’évaluation entre les titres des entreprises faisant partie de la catégorie valeur («value») par rapport à ceux dits de croissance («growth»), la dernière fois que le segment «valeur» était aussi bon marché par rapport à «croissance» était en 1999/2000. Rationnellement, cette tendance aurait déjà dû s’inverser et les titres de la catégorie «value» auraient dû rebondir. Tôt ou tard, il y aura une inversion de tendance – mais je ne sais ni quand cela se produira, ni quel en sera l’élément déclencheur.