Ces pépites qui nous quittent

Nicolette de Joncaire

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Le capital-risque a atteint un nouveau record mais les IPO ne sont pas au rendez-vous. Entretien avec Søren Bjønness d’Euronext.

L’univers du venture capital suisse est de plus en plus dynamique: plus de deux milliards investis en 20191 dont une bonne moitié dans les technologies de l’information et de la communication. La Suisse devient une véritable puissance dans ce domaine. Le crédit de ce succès va largement aux Ecoles polytechniques tant à Zurich qu’à Lausanne mais d’autres régions comme le Tessin et le Jura ne sont pas en reste. Aussi bien pour les entrepreneurs que pour leurs investisseurs, il existe trois voies possibles: faire pousser la société durablement de manière privée, la revendre au plus offrant ou encore l’introduire en bourse. Pour Søren Bjønness, directeur d’Euronext pour la Suisse, la cotation en bourse est un moyen de financer une entreprise qui lui permet de conserver son indépendance. Pour les pépites suisses, c’est aussi un moyen de rester suisse. 

L’introduction en bourse est certes un facteur de croissance mais est-elle réellement plausible en Suisse où il n’y a eu que 12 cotations en 2018 et 7 en 2019 sur SIX?

Le capital-risque explose en Suisse qui est une puissance innovante tant en Europe qu’au niveau mondial. Autour de l’EPFL et de l’ETHZ mais aussi ailleurs au Tessin, à Neuchâtel ou dans le Jura. Les sociétés suisses suscitent beaucoup d’intérêt, malheureusement souvent davantage de la part des investisseurs étrangers que des institutions suisses. Malgré la liquidité que peut offrir une cotation, les entreprises suisses cherchent davantage à grandir grâce à des capitaux privés ou à se vendre, qu’à entrer en bourse car les IPOs ne sont pas perçues favorablement en raison d’une forte aversion au risque. A quelques rares exceptions près, si le profil d’une société est attractif, les actionnaires ont tendance à privilégier une cession plutôt que d’entrer sur les marchés de capitaux. Un exemple extrême est celui de la société vaudoise Symetis passée aux mains de Boston Scientific à la veille de son introduction en bourse.  Et pourtant, les bénéfices de l’IPO compensent largement l’effort à faire sur le plan réglementaire et marketing. Pour les fondateurs, l’un de ces avantages est de continuer à contrôler le futur de sa société, ce qui n’est pas le cas dans le cadre d’une reprise. 

«Le marché suisse a besoin d’un changement de mentalité
de la part des investisseurs qui devraient ‘voir plus grand’.»
Existe-t-il un tissu suffisamment important de jeunes sociétés prometteuses en Suisse? 

Il existe des centaines d’entreprises de qualité mais le marché suisse a besoin d’un changement de mentalité de la part des investisseurs qui devraient «voir plus grand». Individus fortunés ou family offices, ils prennent peur trop facilement. Aux Etats-Unis, l’objectif est de fabriquer des champions mondiaux. Ici, il est juste question de rembourser sa mise en touchant un profit. Il faudrait investir pour faire grandir les entreprises et non pour encaisser au plus vite. Sinon les pépites suisses finissent par tomber en mains chinoises ou américaines ou tout simplement par disparaitre. Je pense en particulier à une société suisse aujourd’hui disparue dont le marché (les moteurs de jet) a été raflé par une société américaine dont la technologie était bien inférieure mais le financement bien supérieur.  C’est dans ces cas que les marchés de capitaux peuvent offrir de vraies solutions.

Dans quels secteurs trouve-t-on ces entreprises? 

Les technologies de l’information et de la communication représentent la part du lion mais la carte maitresse de la Suisse est sa singularité dans les sciences de la vie et dans les cleantech. 

Le cadre réglementaire est-il favorable?

Le cadre réglementaire suisse est de première qualité. Les Cantons ont développé des programmes d’encouragement fiscal mais il faut s’assurer que ces programmes ne servent pas simplement à initier le processus et que le résultat n’aille pas s’évaporer aux Etats-Unis ou ailleurs parce que la société s’est vendue dès qu’elle a atteint sa taille critique. 

«On assiste à une renaissance du capital-risque en Suisse
et l’offre s’est beaucoup développée.»
Existe-t-il en Suisse suffisamment de sociétés de capital-risque?

On assiste à une renaissance du capital-risque en Suisse et l’offre s’est beaucoup développée. Le nombre de fonds dans ce domaine est en nette augmentation et les intervenants se professionnalisent. En début d’année dernière, la Finma at donné le feu vert au Swiss Entrepreneurs Fund, doté de 500 millions et destiné à soutenir la croissance des start-ups. Mais les grands investisseurs institutionnels – les fonds de pension en particulier – ne sont pas au rendez-vous. Depuis qu’ils se sont brulés les ailes au début des années 2000 avec le dot.com. Notez que ce sont surtout les investisseurs étrangers qui sont prêts à investir de gros montants. On en voit prêts à lâcher jusqu’à 200 millions! Un coup de semonce pour les investisseurs suisses. 

Le capital-risque est considéré comme une source de rendement à long terme pour les investisseurs: quels sont les rendements moyens et à quelles échéances? La prime d’illiquidité est-elle suffisamment rémunérée?

Le rendement des fonds de VC est mal connu. L’horizon se situe entre 7 et 10 ans mais les chiffres ne sont pas aisés à décrypter. 

 

1 2,3 milliards de francs investis selon le Swiss Venture Capital Report 2020 – Edition no 8.