Asymétrie négative des marchés

Nicolette de Joncaire

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L’analyse critique de François-Xavier Chauchat de Dorval Asset Management en quelques points.

Guerre commerciale, protectionnisme, inflation, hausse des taux : beaucoup de gros titres et d’effets de manche que François-Xavier Chauchat, économiste et membre du comité d’investissement de Dorval AM, interprète avec un certain recul.  

Taxe sur les importations d’acier contre taxe sur le bourbon. Il n’est plus question que de de guerre commerciale. Qu’en penser?

La taxe sur l’importation de l’acier du gouvernement Trump est proche du non-évènement. Les présidents Bush et Obama en avaient fait tout autant, ciblant justement l’acier et l’aluminium. Personne n’a envie d’entrer dans une guerre commerciale. Les ripostes sont d’ailleurs modérées et le risque d’un véritable conflit est faible lui aussi. Aux Etats-Unis même, la taxe n’est pas soutenue par le Congrès et le président ne fait que brandir les quelques armes dont il peut user pendant une période limitée.

Pas d’inquiétude donc?

L’impact sur les marchés des déclarations outrageuses reflète ce que je qualifierais d’«asymétrie négative des marchés ». Tout va bien économiquement, mais tout le monde le sait. Aussi, les bonnes nouvelles sont déjà intégrées dans les prix, et le marché devient par là même plus sensible à tout ce qui pourrait venir perturber le tableau idyllique actuel. Lorsqu’elles ne sont pas anticipées, les mauvaises nouvelles peuvent avoir des effets dévastateurs à court terme: cela va pour l’inflation, pour le protectionnisme et pour tout autre accident de parcours. Parce que le scénario de base est que tout va bien et que les changements rendent les marchés nerveux. Notez cependant que le thème de la stagnation séculaire, si populaire après 2008, est tout à fait passé de mode.

«Il y a encore peu, certains hedge funds
jouaient la volatilité à la baisse!»
Comment se gèrent les investissements dans ces conditions?

Avec une exposition modérée aux risques car gérer simultanément asymétrie et prospérité ne va pas sans difficulté. Comment capter cette prospérité tout en résistant aux soubresauts et autres accidents statistiques dont les chiffres américains d’inflation du mois de janvier restent l’exemple typique. La hausse de la volatilité témoigne en réalité d’un retour à un niveau de confiance plus raisonnable des marchés, et donc un certain assainissement. Pensez qu’il y a encore peu, certains hedge funds jouaient la volatilité à la baisse! Cette rationalisation est peut-être encore insuffisante. Les marchés sont un peu moins chers mais les investisseurs restent encore assez d’optimisme.

Vous avez constaté une baisse récente des cycliques. Comment évoluent les différents segments actions?

La valorisation des actions défensives – Coca Cola, Nestlé, Danone, Unilever – est à la baisse depuis mi-2016. Ce segment, qui représente à peu près le tiers de la capitalisation mondiale, joue un rôle de substitut aux obligations et tend à fléchir quand les taux d’intérêt montent. En d’autres termes, il existe une corrélation négative entre leur PER et les taux d’intérêt long terme US. La baisse récente des cycliques est en revanche un accident de parcours. Ce segment a été suracheté en janvier et a subi une correction en février, sans raison fondamentale car les chiffres d’affaire sont appelés à s’élever.  

Les économies occidentales n’atteindront probablement plus jamais les taux de croissance observés dans les années 1990.

Par pays, la croissance est effectivement plus basse que celle des années 1990. Mais en PIB par habitant, les revenus ont retrouvé des niveaux de progression comparables à ceux d’il y a 20 ans. En réalité, au niveau global, cette croissance du PIB par tête est actuellement au-dessus de son niveau de long terme. Reste évidemment le gros problème de la répartition de la croissance, essentiellement aux Etats-Unis. Attention toutefois, il ne faut pas confondre inégalités de revenus et inégalités de richesse. Les écarts s’accroissent au niveau du patrimoine du fait de la hausse du prix des actions et de l’immobilier. Au niveau des revenus en revanche, les inégalités montent moins, et même quasiment pas en Europe après impôts et transferts.

«Nous ne pensons pas qu’il existe un risque de nouvelle
forte hausse des taux 10 ans US dans l’immédiat.»
Quel est votre scénario pour les taux US?

Selon notre analyse, les taux des obligations se sont réajustés et ont temporairement atteint un certain plateau, sur des niveaux compatibles avec la vision de la Federal Reserve. Sur 10 ans, ils sont attendus à 3%. Nous ne pensons pas qu’il existe un risque de nouvelle forte hausse dans l’immédiat, mais envisageons plutôt un équilibre sur plusieurs mois.

Et pour l’equity?

Les fondamentaux vont rester excellents mais pas forcément s’améliorer à partir des niveaux actuels, ce qui pourrait limiter le potentiel.

Quelques prédictions sur le long terme?

La révolution née de la robotique et de l’intelligence artificielle ne se reflète pas encore dans les chiffres. Comme par le passé nous observons une courbe en J. Dans un premier temps, la productivité baisse car les nouveaux secteurs ne représentent pas encore une part suffisante de l’ensemble de l’économie. Pour grimper en flèche par la suite.