Apprendre en jouant

Nicolette de Joncaire

3 minutes de lecture

«L’edutainment n’est pas nouveau» explique Pascal Mercier de Credit Suisse AM. Les technologies disruptives qui le mettent à la portée de tous le sont.

Investir de manière thématique sur les forces structurelles de changement de la société permet de se positionner au-delà de la volatilité à court terme. L’équipe d’Investissement Thématique de Credit Suisse Asset Management a choisi de cibler deux tendances de fond : la démographie et la technologie, ou pour être plus précis la transformation digitale. Après la robotique, la sécurité et la santé digitale, le focus est aujourd’hui sur l’éducation, ou plus exactement l’«edutainment», au croisement de la formation et du divertissement. Quelques questions à Pascal Mercier, spécialiste de l’investissement thématique chez Credit Suisse Asset Management, lors de la 18e édition du Global Invest Forum de l’AGEFI à Paris.

Que signifie exactement le néologisme «edutainment»?

Le terme français est ludo-éducatif, ce que je trouve personnellement moins élégant qu’«edutainment». Qui n’est pas vraiment un néologisme. Associer le jeu à l’éducation est une notion ancienne et, quant au mot lui-même, Walt Disney l’utilisait déjà à propos du court métrage éducatif «Tommy Tucker’s Tooth» en 1922. On le sait: associer le divertissement à l’apprentissage accroit la participation de l’étudiant et donc l’efficacité de l’enseignement. Pour citer Benjamin Franklin1: «Si tu me le dis, je l’oublierai, enseigne-le moi et peut-être que je m’en souviendrai, fais-moi participer et là j’apprendrai». Ce qui est nouveau n’est donc pas le concept mais la manière dont les technologies disruptives peuvent contribuer à l’améliorer massivement.

«L’éducation en ligne progresse de plus de 20% par an, tandis que
l’apprentissage basé sur le jeu progresse de plus de 35% par an.»
Quelle est l’évolution de l’éducation online?

Le premier élément à bien comprendre est que l’éducation traditionnelle, en classe, centrée sur l’enseignant, est très gourmande en capital et en main d’œuvre qualifiée et donc extrêmement couteuse à adapter aux grands nombres. Dans l’éducation classique, pas d’économie d’échelle. Aux Etats-Unis, les coûts d’éducation ont plus que décuplé en 30 ans. Quant au niveau d’endettement des étudiants, il s’est envolé. Plus abordable, plus flexible, l’éducation en ligne progresse de plus de 20% par an, tandis que l’apprentissage basé sur le jeu progresse de plus de 35% par an. Les Millenials sont nés en même temps que Google et sont des habitués des supports en ligne, sous toutes leurs formes. Ils sont nés dans le numérique et habitués des modèles avec contenu flexible, à la demande, tels que Netflix. Tout est en ligne pour eux sauf l’éducation traditionnelle. Mais cela change rapidement. Tenez compte également du fait qu’aujourd’hui, seulement 2% du marché de l’éducation est numérique, ce qui signifie que la formation en ligne sera amenée à progresser rapidement. Sans compter une pression encore plus forte dans les pays émergents que dans les pays développés. 

Vous vous réclamez des Objectifs de développement durable des Nation-Unis. Pourquoi?

Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité sur un pied d’égalité et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie est le quatrième objectif de développement durable de l’ONU (ODD). L’éducation brise le cycle de la pauvreté. En investissant dans des sociétés innovantes qui permettent de réduire les coûts et d’augmenter l’accès à l’éducation, nous suivons le quatrième objectif ODD. En ce sens, notre revendication est parfaitement justifiée. 

Quel type d’innovation cherchez-vous à suivre plus particulièrement?

L’innovation est significative tant au niveau des services, que des contenus ou des outils. Au niveau des services, l’éducation en ligne est disponible à tout moment, à la disposition de l’étudiant, lui permettant d’aménager son temps d’apprentissage en fonction de ses autres obligations. Les contenus numériques peuvent être standardisés mais aussi personnalisés et enrichis par l’image, le son, le film, voire la réalité virtuelle. Quant aux outils, les plateformes d’apprentissage permettent de réduire considérablement les coûts tout en disséminant l’enseignement au plus grand nombre. On peut également penser aux nouveaux outils et équipements interactifs tels que des simulateurs de réalité virtuelle ou de réalité augmentée, l’utilisation de l’intelligence artificielle, etc. L’important est l’interactivité qui permettra une meilleure efficience du processus éducatif. 

«Nous comptons environ 500 entreprises avec une exposition
au ludo-éducatif, mais seulement 165 sont des ‘pure players’.»
Sur le plan de l’univers d’investissement, que représente le ludo-éducatif?

Nous comptons environ 500 entreprises avec une exposition au ludo-éducatif, mais seulement 165 sont des «pure players», avec au minimum 50% des revenus liés à la thématique. Nous investissons dans 44 sociétés parmi cet univers. L’accent de notre stratégie sur des sociétés spécialisées ainsi que sur l’innovation et les entrepreneurs se traduit par un biais clair pour les petites capitalisations. Cet investissement est donc conçu pour un investisseur long terme avec une perspective de 7 à 10 ans.

Avez-vous quelques exemples à nous donner?

Un premier exemple est une société brésilienne, productrice de la première série de vidéos ludo-éducatives médicales au monde, cotée aux Etats-Unis depuis juillet 2019. Son objectif? Réduire la pénurie de médecins dans les régions les plus vulnérables en utilisant, notamment, des supports vidéos pour former les médecins. Un autre exemple est une entreprise américaine qui exploite une bibliothèque en ligne de location de manuels scolaires à des étudiants et bénéficie d’une reconnaissance de marque la classant au deuxième rang après Amazon parmi les étudiants. Ce qui lui permet de collecter et d’analyser les thèmes, en utilisant de l’intelligence artificielle, sur lesquels l’étudiant concentre ses études en vue d’offrir du tutorat en ligne et d’autres services pertinents tels que le placement professionnel. Un troisième cas concerne un fabricant canadien de simulateurs de vol pour la formation des pilotes, du personnel de cabine et du personnel au sol des compagnies aériennes. Il s’agit d’un prérequis grandissant de formation de pilotes à moindre coût et de manière plus sécuritaire. La société développe également des solutions innovantes dans les domaines des soins de santé, de l’éducation et de la formation fondées sur la simulation.

Quelles sont les perspectives de croissance de ces sociétés?

Pour les exemples utilisés précédemment, elles se situent, selon les cas, entre 15% et 25% pour la croissance du chiffre d’affaires et au-dessus de 20% pour les marges EBITDA. La majorité des sociétés que nous regardons sont déjà profitables avec des taux de croissance de 15 à 20% du chiffre d’affaires, en ligne avec les projections du secteur EdTech. 

1 Né en 1706 et mort en 1790.
Interview de Pascal Mercier au Global Invest Forum (GIF) de l'AGEFI France à Paris le 10 octobre