PostFinance pourrait octroyer des crédits et des hypothèques

AWP

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Volte-face du Conseil fédéral. Il envisage même d’autoriser l’ouverture de l’actionnariat de la filiale de La Poste.

PostFinance pourrait faire son entrée sur le marché des crédits et des hypothèques. Jusqu’ici opposé à cette idée, le Conseil fédéral a décidé mercredi de lâcher du lest et d’ouvrir l’actionnariat de la filiale de La Poste.

La situation sur les marchés financiers, marquée notamment par de faibles taux d’intérêt depuis 2008, explique ce revirement stratégique, explique le gouvernement. PostFinance n’arrive plus à générer suffisamment de revenus avec son modèle d’affaires actuel, qui lui interdit l’octroi de crédits et d’hypothèques.

La valeur de l’entreprise est en baisse. Elle peine à constituer elle-même les fonds propres nécessaires et à verser des dividendes. Et son résultat d’exploitation devrait nettement diminuer d’ici 2021 malgré les mesures de restructuration en cours.

L’arrivée de PostFinance sur le marché des crédits et des hypothèques se fera par petites étapes et sur plusieurs années. Le Conseil fédéral estime qu’il n’y a pas de risque pour la stabilité des marchés financiers. Cette entrée, qui stimulera la concurrence, profitera aussi au consommateur, selon lui.

Actionnaire majoritaire

Pour mobiliser les fonds propres supplémentaires nécessaires et réduire les risques liés à la participation de la Confédération, le Conseil fédéral privilégie aussi une ouverture de l’actionnariat. La Poste resterait l’actionnaire majoritaire et PostFinance continuera à faire partie du groupe afin de fournir les services de paiement relevant du service universel, prévus par la loi.

Le Conseil fédéral souhaite que la banque constitue ses fonds propres de manière autonome et sans garantie de l’Etat. Elle devra en outre répondre aux exigences supplémentaires applicables aux banques d’importance systémique pour la Suisse en matière de fonds propres dès le 1er janvier 2019.

Les exigences de capital «gone concern», qui doivent permettre d’assainir ou de liquider de manière ordonnée une banque en difficulté, devraient être remplies par la constitution de fonds propres. Par la suite, si besoin, le capital pourra être constitué par la levée de fonds étrangers résorbant les pertes.

Le Conseil fédéral a chargé le Département fédéral de la communication (DETEC) d’élaborer, en collaboration avec le Département fédéral des finances (DFF), un projet de révision partielle de la loi sur l’organisation de la Poste.

Chute du bénéfice

PostFinance fait partie des banques suisses trop grandes pour faire faillite («too big to fail») avec la Raiffeisen, la Banque cantonale zurichoise, UBS et Credit Suisse. Elle compte près de trois millions de clients et un patrimoine correspondant de 120 milliards de francs. A la fin du premier semestre 2018, sur un an, la banque a toutefois perdu 58’000 clients et vu ses résultats nettement chuter.

Son bénéfice net a plongé de 66% pour s’inscrire à 125 millions de francs. Le produit d’exploitation a lui aussi baissé, d’environ un quart, à 683 millions. Le résultat d’exploitation (EBIT) s’est établi à 146 millions, contre 387 millions au premier semestre 2017.

La banque postale est engagée dans une vaste restructuration. Elle a annoncé début juin la suppression de 500 emplois à plein temps d’ici fin 2020.

 

Le service public au coeur du débat sur Postfinance
Postfinance pourrait faire son entrée sur le marché des crédits et des hypothèques. Ce que salue la gauche, mais déplore la droite. La libéralisation partielle de la filiale de La Poste est elle plébiscitée à droite, qui veut même aller plus loin, et rejetée à gauche.

Le Parti socialiste suisse (PS), l’Union syndicale suisse (USS) et les Vert’libéraux disent oui à l’entrée de Postfinance dans le marché des hypothèques, mais ils divergent sur la privatisation partielle. Le PS, l’USS et Syndicom la refusent catégoriquement: Postfinance doit rester à 100 % une filiale de La Poste, indique le parti à la rose dans un communiqué mercredi.

Les Vert’libéraux défendent eux une libéralisation urgente de Postfinance. «Seule la privatisation créera un marché équitable parmi les fournisseurs de services financiers, poursuit le parti de centre-droit. Et le service universel peut être garanti même sans banque d’État.»
Le PLR veut aussi éviter que cette révision de la loi entraîne une distorsion de la concurrence ou un désavantage des institutions financières privées. Cela est particulièrement délicat, tant que la Confédération reste l’actionnaire majoritaire. Pour le PLR, une privatisation de Postfinance serait donc également obligatoire dans la mue envisagée.

Le PS rappelle que Postfinance est d’importance systémique et que ses exigences en fonds propres sont élevées. Ce qui, aujourd’hui, ne peut être qu’en partie satisfait, reconnaît-il. Toutefois, aucun financement partiel n’est nécessaire pour satisfaire cette exigence, une garantie d’Etat est suffisante, affirme-t-il.

Postfinance devrait donc être en mesure de proposer des crédits hypothécaires dans le but de promouvoir les PME et de créer des conditions de financement favorables aux petits clients. «Entrer dans le marché des hypothèques serait un pas dans cette direction», souligne la conseillère nationale Ada Mara (PS/VD). Les montants générés ne sont pas d’une importance qui mettrait en péril l’existence d’autres institutions financières.

Concurrence aux acteurs privés

Son collègue parlementaire, le conseiller national Oliver Feller (PLR/VD), secrétaire général de la Fédération romande immobilière (FRI) ne partage pas cet avis. «Dans le domaine des crédits commerciaux et hypothécaires, il y a déjà beaucoup d’acteurs sur le marché, comme les assureurs et les banques», a-t-il dit à Keystone-ATS. Une entreprise publique dont la Confédération est l’actionnaire unique n’a pas à faire concurrence aux acteurs privés, déclare-t-il.

Et la proposition d’ouvrir l’actionnariat de Postfinance à des investisseurs privés tombe à un très mauvais moment, poursuit le secrétaire général de la FRI. La Poste suscite régulièrement des controverses en lien avec la fermeture des offices postaux, l’affaire CarPostal, les tarifs d’acheminement des journaux, etc.

«Avant de revoir la structure de Postfinance, il faut un débat plus large sur le service public», lance-t-il. En d’autres termes, le libéral-radical vaudois doute qu’il existe aujourd’hui une majorité en Suisse qui souhaite en partie privatiser le secteur d’activités qui permet à la Poste dans son ensemble de dégager des bénéfices.

Enfin, Syndicom peint le diable sur la muraille. Une séparation des services de paiement et des prestations postales entraînerait la situation que connaît l’Allemagne aujourd’hui. L’autonomie de la banque postale n’y a pas pu être garantie à long terme et il en a résulté un retrait massif de la Deutsche Post du territoire. Résultat: il n’existe plus un seul bureau postal géré par la poste en Allemagne.

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